Le choix du diaconat


Il est diacre permanent du diocèse de Pontoise avec comme mission principale aumônier diocésain du MCC. Elle a choisi de ne pas être salériée... Le diaconat tout en étant un choix individuel revêt une dimension familiale. Voici le témoignage de Guy et Danielle Fèvre.

Permettez-moi de me présenter : marié depuis trente-deux ans, Danielle et moi avons eu trois enfants dont un a rejoint le Seigneur peu après sa naissance. A ce moment-là, nous en avons voulu au monde entier. De ce fait, nous ne fréquentions plus l’Eglise et nous ignorions Dieu. Avec le recul, il me semble que Dieu, Lui, ne nous avait pas perdu de vue. Danielle a été longtemps mère au foyer. Jusqu’à 35 ans, technicien puis ingénieur, j’étais surtout préoccupé de grimper dans l’échelle sociale jusqu’au jour...
Cela commence par une conversation téléphonique :
"Allo ! Danielle ? On me demande d’être candidat au comité d’entreprise puis délégué du personnel, qu’en penses-tu ? Tu sais il faudra peut-être se passer des augmentations personnelles et faire l’impasse sur un déroulement de carrière prometteur. Les syndicalistes ne sont pas obligatoirement bien considérés, bien notés. Es-tu prête à partager ces éventuels ennuis ?"
La réponse ne fut pas longue à venir, la réflexion de courte durée.
Un premier pas, un premier choix !
Choix d’être au service de l’homme ? Parce que nous étions chrétiens ? Pour nous la différence n’est pas très sensible.

Ce premier pas, ce premier choix va en entraîner d’autres. A chaque fois, il s’agit d’un appel, d’une interpellation. Par exemple : une demande pour devenir responsable diocésain de Vivre Ensemble l’Evangile Aujourd’hui la veille de rendre une réponse au directeur technique de ma Société pour prendre en responsabilité un bureau d’études à Lyon alors que nous habitions l’Ile-de-France. Je me suis immédiatement entendu répondre oui à cette responsabilité diocésaine. Un choix ? Ou une réponse préparée par une réflexion en équipe de révision de vie ? En tout cas, avec un certain recul, sûrement un signe de l’Esprit !

Puis, quelques années après, est venue cette interrogation : Pourquoi pas le diaconat ? C’est comme cela que je peux décrire l’appel : une idée qui germe dans l’esprit. Question à Danielle sous la forme indirecte, par pudeur, d’une manière neutre comme d’une question anodine ou pour un autre...

- Danielle, qu’est-ce que tu penses du diaconat ?

- C’est curieux, répond-elle, il y a deux à trois mois que j’y pense pour toi sans oser
t’en parler...

Nous avons demandé l’avis d’un ami, prêtre, pour voir si cette idée n’était pas trop "farfelue".
Après un temps d’interrogations, de rencontres avec d’autres personnes, prêtres amis, prêtres en responsabilité, mais également amis laïcs, nous avons commencé une période de discernement puis de formation, en couple.

et les enfants ?

Nos deux enfants avaient 13 et 15 ans lorsque après un premier discernement, mais avant de nous engager plus avant, nous avons décidé de leur parler de notre projet.

Les réponses furent très contrastées. Le fils (15 ans) : "C’est formidable ! C’est génial ! Tu as décidé d’aller jusqu’au bout. Mon père c’est comme un roc" (sic).
La fille (13 ans) : "Vous êtes débiles ! Que vont dire mes copines ? Moi, la fille d’un curé... !". Puis le silence pendant deux à trois mois.
Devant cette réaction violente, nous avons fait le choix de prendre du recul pendant le temps nécessaire de la maturation. Nous savions que ce choix de vie impliquerait des changements importants pour moi, pour Danielle, mais nous soupçonnions aussi que cette décision rejaillirait sur la vie des enfants. Après réflexion en couple, nous avons décidé d’attendre une réponse moins négative de notre fille. Il nous paraissait important de respecter sa liberté, même si cela retardait un oui définitif à l’appel du Seigneur. L’engagement pris lors de notre mariage l’un envers l’autre, l’éducation, l’équilibre de nos enfants étaient primordiaux. Dieu ne peut pas demander des engagements qui soient contraires au bien ou à l’épanouissement de l’Homme.
Nous avons attendu deux à trois mois au cours desquels - nous l’avons su après - la "petite" s’était renseignée dans son aumônerie sur ce qu’était un diacre. Et un jour, en voiture, elle était derrière moi, elle m’a pris par le cou et m’a dit : "Dis, papa, tu me marieras ?". Ce fut sa façon de dire oui, d’accepter le choix de vie que nous avions fait.
Alors vint un temps de formation en couple.

Quelques années plus tard, j’ai effectivement marié ma fille avec joie et émotion. Par contre, le fils n’a pas souhaité être marié par son père mais m’a demandé d’être son témoin. J’ai baptisé une de ses filles.
Deux façons variables dans le temps et les circonstances d’assumer des choix faits par d’autres.
Il nous paraît encore aujourd’hui que les choix de vie des parents doivent trouver un assentiment - même tacite - des enfants à l’âge de l’adolescence. Il s’agit de les considérer comme des enfants de Dieu avec une liberté respectable surtout à cet âge de maturation psychologique.

au travail

Je suis toujours au comité d’entreprise et je crois que la diaconie du Christ est à construire là aussi.
Dans les plans sociaux, dans les rapports difficiles d’un salarié avec tel ou tel directeur, mon rôle est sûrement de privilégier le respect de l’homme dans un monde dur, où chacun lutte pour sa carrière, son augmentation de salaire, une meilleure place, une meilleure productivité, voire son emploi ; toutes choses qui peuvent être excellentes en elles-mêmes à condition de ne pas écraser l’autre pour arriver.
Je veux conserver ces mandats, car la défense de l’homme est une nécessité vitale pour le baptisé que je suis. Les dons que j’ai reçus, je pense devoir les mettre au service des autres même si cela me prends du temps et si je dois souvent "jongler" avec mes horaires. Danielle me fait très rarement des soufflés le soir et me demande quelquefois si je veux installer un lit de camp dans mon bureau !

La réflexion préparatoire au diaconat, puis maintenant en équipe, m’ont aidé à voir clair et faire ce choix important. Diacre marié, exerçant une profession en responsabilité, j’ai fait le choix d’être signe également dans mon milieu de travail de façon explicite ou non. Un certain nombre de collègues savent que je suis diacre. Je ne le dis pas systématiquement car la qualité des relations ne doit pas être brouillée (dans un sens ou dans un autre) par le statut diaconal. C’est pourquoi je suis plutôt discret sur le sujet. Mais tous savent que je suis chrétien.

conséquences du choix de vie

Diacre depuis plus de dix ans, je peux mieux mesurer avec Danielle ou en équipe, les conséquences souvent imprévisibles de cette réponse positive à l’appel du Seigneur et de l’Eglise.

DANS NOTRE QUARTIER nous avons une vie marquée par le sacrement reçu par moi. Mais Danielle est, par ricochet, également marquée dans le regard des autres. "Son mari est diacre’" disent les voisins, même s’ils ne savent pas bien ce qu’est un diacre.
Lorsqu’il s’agit de faire une démarche ecclésiale difficile (Baptême d’un enfant né de parents divorcés, séparés ou non mariés, mariage de pratiquants occasionnels...) il est quelquefois plus facile, en faisant ses courses au marché, d’aborder Danielle pour lui raconter ses soucis quotidiens et glisser la demande au détour d’une phrase : "Pour le baptême de mon fils ou de ma fille, pensez-vous que votre mari pourrait faire quelque chose ?"
La disponibilité doit être grande, quels que soient nos propres soucis :

- choisir de faire ses achats au marché pour être présente,

- être veilleur attentif parmi les hommes et les femmes qui vivent quelquefois des situations douloureuses,

- ministère de présence, où l’épouse est impliquée, volontairement ou non.

Danielle me rappelait la question que le Père évêque lui a posé lors de mon ordination : "Madame, l’Eglise me demande d’ordonner diacre votre mari. Acceptez-vous ce que cette ordination va entraîner pour votre vie conjugale et familiale ?"
En avons-nous mesuré toutes les conséquences ?

LES ENGAGEMENTS DU COUPLE

Avant mon ordination, tous nos engagements ecclésiaux étaient communs. Mariés depuis 1961, nous avons participé, au gré des divers déménagements, à différentes activités :
C.P.M. à Dijon et Arras, M.C.C. à Arras, équipe liturgique à Valenciennes, V.E.E.A. à Valenciennes et Pontoise en responsabilités diocésaine et nationale, aumônerie scolaire à Valenciennes et Pontoise. Pour tous ces engagements, il était nécessaire qu’ils plaisent aux deux, que chacun trouve son épanouissement humain et chrétien. Cela réduisait les "choix possibles". Pendant la formation et la préparation au diaconat, il nous est apparu très vite que la mission donnée par l’évêque l’était au diacre seul.
Pour Danielle, le cheminement vers le diaconat de son mari l’avait attiré vers la diaconie mais il lui semblait indispensable de s’engager pleinement au service des autres au nom de son baptême. Après mon ordination, Danielle a repris des études et elle est aujourd’hui au service des malades mentaux et de ceux qui les soignent, au sein d’une aumônerie hospitalière. La redécouverte de cette vocation première qu’est le baptême a été et est pour nous une conséquence inattendue, mais ô combien enrichissante.

LE MINISTERE

Responsable diocésain des aumôneries scolaires, mon premier ministère m’a apporté huit années de joie au service des jeunes et de leurs animateurs. A la demande de mon évêque, j’ai changé de mission. Je suis maintenant au service du monde des cadres, du monde "indépendant".
Ce ministère n’est pas un choix personnel. Toutefois, j’ai participé à la réflexion et donné mon avis sur les deux missions successives qui m’ont été confiées. Par contre, ma personnalité influe sur la manière d’exercer concrètement ce ministère.

Travaillant à plein temps comme cadre, responsable d’un service dans l’industrie, il était nécessaire pour pouvoir exercer normalement la responsabilité ecclésiale confiée, de faire des choix qu’impliquent la vie de couple.

Avoir trois réunions par semaine en soirée et au moins un week-end par mois au service des aumôneries scolaires nécessite une bonne organisation temporelle et familiale. Danielle n’a pas été directement concernée par la pastorale des aumôneries scolaires mais les présences souhaitables auprès des jeunes pendant le week-end ont été acceptées après de longues discussions, en couple.

Je ne peux m’empêcher de penser à quelques couples fragiles à qui un prêtre, un responsable, demande un engagement sans penser aux conséquences possibles. J’espère en avoir le souci lors de mes demandes, malgré le petit nombre de personnes disponibles dans notre diocèse.

Lorsque j’ai changé de mission, nous avons apprécié que notre évêque ait écouté notre demande d’avoir un temps pour souffler et nous retrouver après cette longue période de ministère lourd. J’ai donc fait un "tuilage" dans ma nouvelle responsabilité. Si nous n’avions pas eu chacun un conseiller spirituel, une équipe de révision de vie et l’aide de l’Esprit Saint, nous aurions eu du mal à assumer toutes les conséquences pratiques de nos choix.

Lors de témoignages, Danielle dit souvent : "Si ce n’était qu’humain, ce ne serait pas vivable. Heureusement que le Seigneur est toujours avec nous, même dans les moments de ’ras-le-bol’. Et il y en a."

LA PRIERE

Autant le diaconat fut et est une grande joie, une grande richesse, autant le chapitre de la prière est pour notre couple une épine, une écharde comme l’écrit St Paul. Nous avions pris l’habitude, Danielle et moi, quelquefois avec les enfants, de prier ensemble à la fin de la journée. La douce obligation de la lecture du bréviaire pour le diacre est devenue pour moi un plaisir. J’aime être en communion avec l’Eglise et prier avec les Psaumes que Jésus récitait lui-même.
Quant à Danielle, ce type de prière ne lui convient pas. Elle "n’entre pas" dans la prière du psalmiste et cette forme de lecture n’est pas toujours "prière" pour elle. Ce n’est pas un choix mais une conséquence d’un choix initial. Maintenant nous prions rarement ensemble. C’est la première fois que le sacrement de mariage qui nous unit est en contradiction avec le sacrement de l’Ordre et ses obligations.

J’ai été ordonné le 11 décembre 1982, le jour de la Saint Daniel ; une attention toute particulière du Père évêque. Les joies ressenties pendant ces dix années, ces choix volontaires, ces réponses à des appels font bien vite fuir les nuages.

Toujours on peut compter sur la foi,
l’espérance et la patience
que l’amour inspire.

(d’après 1 Co 13)

Guy et Danielle Fèvre