Renouveler la jeunesse de l’Eglise


Le P. Denis Marion, responsable du Service diocésain des vocations de Dijon, donne le témoignage de son expérience sur le terrain. Nous lui avons demandé de réagir au titre de ce numéro.

L’interrogation est modeste. La pastorale des vocations ne serait-elle pas évidente ? Il se pourrait bien qu’elle ne serve à rien ! Elle a souvent l’apparence de l’inutilité : pas de troupes au départ, guère plus à l’arrivée, dans un contexte ecclésial au moins aussi déprimé que l’économie mondiale. J’y crois pourtant à cette pastorale des vocations et j’essaierai de répondre à la question avec ce que 55 ans de vie, 25 ans de séminaire, 20 ans d’aumônerie, 10 ans de Service Diocésain des Vocations ont pu m’apprendre au sujet des jeunes et des moins jeunes.
Mais avant tout, qu’on relativise bien mon propos malgré tout, car chacun est amené à faire la théorie de ses propres dons et charismes. Alors, puisque c’est moi qu’on interroge, je dis résolument "je", mais je suis conscient des étroitesses subjectives de mes convictions tout autant que convaincu de leur valeur, parce que je les ai tirées de l’expérience et que d’autres avec moi sont parvenus aux mêmes certitudes.
Pensant sans doute aux campagnes d’affiches de l’armée de terre ou de la marine : "Un métier, un avenir !", un officier de ma parenté me dit un jour : "Votre recrutement dans l’Eglise est bien mal organisé !". Si la pastorale des vocations est perçue comme la mise en oeuvre de moyens de sensibilisation, structurée en réseaux serrés, selon des organigrammes exhaustifs... je suis rempli d’admiration devant tant de courage et de savoir-faire, mais je n’y crois pas. Elle ne sert à rien. N’en a-t-on pas entonné des couplets plaintifs ou entraînants depuis des décennies ? N’a-t-on pas ramé avec des enquêtes, des dossiers, des rencontres, des veillées, des manifestations ? Et quoi ? On est reçu avec intérêt, au moins avec résignation, à condition que les candidats surgissent de chez le voisin et "pas de chez nous". Au moins autant que le sexe, l’argent pèse lourd dans nos sociétés - et la foi beaucoup moins. Ainsi se trouve limité l’horizon des vocations possibles, et ces réticences de tous les temps sont accrues encore par le souvenir des crises qui ont secoué prêtres et consacrés après le dernier concile.
Qu’on me comprenne bien ! Je me rends bien compte qu’il y a une immense carence de l’information des chrétiens sur les vocations. Il faut le faire... Je publie une revue, je rêve qu’elle soit lue et mobilise les communautés, mais j’ai le sentiment de me heurter à un mur d’indifférence compatissante ..."Une chose de plus !". Je diffuserai des tracts, des images, je provoquerai des réunions, susciterai des équipes ; je parlerai des vocations... et puis, même pas, j’en parle peu ! D’ailleurs bon nombre de ceux que Dieu appelle sont aujourd’hui en quête hors des enclos de notre petit bercail.
Il ne faut pas vouloir que la pastorale des vocations soit un en-soi qui serve à quelque chose. La pastorale des vocations ne sert pas à quelque chose : elle sert aux jeunes, elle sert les jeunes. Elle entreprend sans savoir ce qu’elle va produire et c’est alors qu’elle sert vraiment. "Ni par la puissance, ni par la force, mais par mon Esprit, dit le Seigneur" (Zach. 4, 6). La pastorale des vocations "sert à quelque chose" dans la mesure où elle épouse la logique paradoxale de l’Evangile, qui est celle de la vie surgissant de la mort : dépossession de soi, travail dans le secret, enfouissement humble, patience infinie dans la longue traversée du désert, souci de tous sans distinction et de chacun en particulier, "avertissant chacun, instruisant chacun en toute sagesse, afin de rendre chacun parfait en Christ" (Col. 1, 28).
Imprégnée de cette sève évangélique, la pastorale des vocations sert à quelque chose.

Le premier effet de la pastorale des vocations, ainsi vécue en pleine pâte, c’est de convertir les adultes qui s’y donnent.
Ils doivent accepter de renoncer à toute réussite spectaculaire, accepter de renoncer à cette volonté des adultes qui savent ce qui est bon pour les jeunes, pour se contenter d’aimer davantage. S’ils arrivent à écouter et découvrir, à servir et accompagner humblement les désirs des jeunes, avant d’avoir sur eux des desseins, des projets -"Combien en avons-nous pour le séminaire ?", "Pensez à notre congrégation, mon Père !", "Surtout pas une de nos enfants !" - alors ils recevront en pleine face la nouveauté que Dieu apporte à son Eglise à travers les jeunes et ils se réinstalleront dans l’espérance, ils se sentiront eux-mêmes remis en marche.

L’adulte ainsi converti va promener en tous lieux de son existence son regard transformé, soucieux de l’accomplissement de chacun où, quand, et comme Dieu le veut.
La pastorale des vocations commence ainsi en tous les lieux de la pastorale ordinaire : paroisse, famille, mouvements, écoles, aumôneries. Une certaine façon d’être le nez au vent, l’oreille ouverte et le coeur attentif. Une vocation, c’est une rencontre personnelle. Elle prend conscience d’elle-même à travers la relation avec une autre personne. Et nous pouvons être cet autre qui a le visage du Christ. Une vocation se nourrit d’amitié. Il n’y a pas d’âge pour se lier d’amitié avec des jeunes.

Il relèvera alors de la pastorale des vocations de promouvoir des initiatives propres à servir l’approfondissement personnel de la foi des jeunes.
Là où l’on fait vivre à des jeunes des expériences ecclésiales fortes et authentiques, à travers l’initiation à la prière, la formation théologique, le service vécu ensemble, il est inévitable que se manifeste toute la palette des vocations, mais il faut viser haut pour tous, être prêt à cheminer longuement ensuite avec chacun. Le S.D.V. observera le principe de subsidiarité : faire faire le plus possible aux autres, mais ne pas refuser d’aller aider là où on manque de moyens.
Il est des lieux où j’ai vraiment senti que la pastorale des vocations, ça servait à quelque chose : les week-ends pour grands confirmands ou confirmés, à Fain ; les camps S.D.V. avec les 13-14 ans, les 16-18 ans, les 18-20 ans ; le groupe Bartimée avec les 20-30 ans ; des accompagnements qui durent deux ans... cinq ans ... huit ans ; des petits groupes de prière avec des enfants, des groupes de réflexion de jeunes sur la vocation chrétienne, dans les antennes locales, à Beaune par exemple.

Avec des jeunes plus motivés, la pastorale des vocations sera amenée à faire des propositions plus explicites, plus exigeantes, pour mener à bien un discernement spécifique déjà ébauché et préparer le choix décisif d’une entrée en vie religieuse ou au séminaire. Mais seulement à ce stade !

Partenaires privilégiés et indispensables d’une pastorale des vocations, qui croit non à la force mais à l’Esprit de Dieu, seront les priants, des chambres de malades aux monastères en passant par le peuple des humbles. Efficacité cachée, anonyme, mais certaine, tangible à certaines heures.

Alors, avec du recul, on perçoit les fruits de la pastorale des vocations au niveau des jeunes, quel que soit le choix final qu’ils feront.
. Ce sont ces jeunes qui s’interpellent les uns les autres et les groupes qui se renouvellent d’eux-mêmes
. Ce sont ces jeunes touchés par le S.D.V. qui deviennent les piliers de leur aumônerie ou de leur groupe chrétien, éléments dynamiques et rayonnants là où ils vivent, parce qu’ils ont découvert leurs racines.
. Ce sont ces deux anciens du S.D.V. qui ont déjà fait le pas et qui, à leur tour, suscitent un groupe d’approfondissement avec d’autres et qui disent au S.D.V. : "On ne vous remerciera jamais assez de ce que vous nous avez proposé de fondations, de responsabilités, de bases, de découverte des sacrements."

Au bout du compte, c’est à l’Eglise tout entière que profite la pastorale des vocations.
. Parce qu’ils sentent qu’il y a un frémissement, des prêtres, des catéchistes, des animateurs osent parler, parler à nouveau de vocation, appeler tel ou tel et le signaler au S.D.V.
. Telle communauté religieuse d’âge certain se retrouve dynamisée parce qu’elle a su ouvrir sa porte à des jeunes, ou parce que l’une des soeurs participe à l’atelier Vie Consacrée.
. Tels parents, se formant à l’accompagnement, deviennent capables d’aider des jeunes à discerner et deviennent plus lucides sur leurs propres enfants.

L’autre jour, à l’aumônerie du lycée, on célébrait l’entrée en catéchuménat d’une fille de 17 ans. Les jeunes ont dit combien ils avaient été saisis par cette démarche. L’Eglise revit chaque fois qu’elle accueille de nouveaux membres.
De la même façon, quand des jeunes envisagent de consacrer leur vie à Dieu : quelle grâce de vie pour l’Eglise !
La pastorale des vocations sert-elle à quelque chose ? J’ai envie de dire : la pastorale des vocations contribue à renouveler la jeunesse de l’Eglise. Quelques adultes peu à peu transformés au contact de ces jeunes qui eux-mêmes rayonnent parmi ceux de leur âge... et c’est une Eglise locale qui retrouve le goût de vivre !


Denis Marion