Trois dimensions pour donner des repères aux jeunes


Dernière réaction à la question centrale posée par ce numéro : celle du Père Pierre Moitel, bibliste et membre de l’Aumônerie nationale des centres et services d’éducation spécialisée.

En 1989, sept jeunes filles, de 25 à 35 ans, demandaient leur entrée dans un couvent de religieuses contemplatives de l’Ile-de-France. En 1992, six renonçaient à leur projet de vocation religieuse, la septième rejoignait une autre congrégation. La maîtresse des novices me confiait alors : "Elles étaient sept, il n’y en avait pas deux qui se ressemblaient, elles n’avaient rien en commun".
Cette réflexion confirme l’analyse de sociologues : les jeunes ne constituent pas une génération. Chacun est jeune pour lui-même. A la limite, chacun est à lui-même son propre idéal. Ainsi renvoyé sans cesse à lui-même et aux quelques pairs qui lui ressemblent, le jeune apparaît contraint de devenir pour lui-même sa référence. L’autonomie de chacun est un acquis certain des trois dernières décennies, mais le sens actuel de la liberté est celui du "chacun pour soi" (1). C’est un fait socio-culturel à prendre en compte. C’est l’un des lieux de recherche en vue d’une pastorale des vocations pertinente et efficace.

Hier, l’institution ecclésiale catholique était assez homogène et bien assise pour assurer son recrutement (prêtres, religieux, religieuses) à partir de son vivier bien-pensant et pratiquant. Dans un cadre structuré et (re)connu, les moyens de fonctionnement étaient clairement définis et programmés. Ancien professeur de petit séminaire (1958-1963), j’ai souvenir d’une maison qui "tournait" d’elle-même. Le plan de recrutement et de formation était codé identiquement pour tous les jeunes et les responsables avaient la certitude de maîtriser la direction du chemin à prendre. De même, je pense, dans les monastères de religieux et les couvents de moniales. Beaucoup de responsables de l’institution vivent encore nostalgiquement de ce modèle.

Aujourd’hui, le foisonnement des sensibilités et courants religieux dans l’Eglise catholique et la diversité des cheminements personnels exigent de la part des responsables des démarches de recherche où l’inventivité remplace les évidences d’hier. Selon le mot de Daniel Hameline, spécialiste en sciences de l’éducation, les "géomètres de la reproduction" doivent laisser la place aux "saltimbanques de l’imagination". Mais pour ce faire, il serait maladroit de laisser initiative et pouvoir à quelques gourous. La recherche ne peut être le fait de quelques experts ès-vocation, elle demande la participation de tous les "corps de métier" de l’institution ecclésiale. C’est là qu’un service de pastorale des vocations me semble plus utile qu’hier afin de coordonner la réflexion commune face à un environnement socio-culturel complexifié. L’un des axes de recherche serait de fournir des repères pour lutter contre la confusion qui règne dans l’esprit des jeunes.

Un exemple. Les jeunes, dit-on, s’ennuient. Ils se retrouvent en discothèque ou au café. "On n’a rien de spécial à se dire, avouent-ils, mais c’est trop dur d’être seul". Ils s’ennuient, incapables ou dans l’impossibilité de percer le mystère de leur identité et de donner un sens à leur existence. Nécessité est pourtant qu’ils trouvent leur propre chemin d’avenir, leur vocation. Mais s’il est vrai que la vie en groupe constitue pour eux un "rituel" rassurant où ils puisent une énergie pour affronter le quotidien de l’école ou de la galère, on est en droit de s’interroger sur la crédibilité du désir de ceux et celles qui entrent dans une communauté religieuse chaleureuse et de se demander s’ils y cherchent "leur" route ou une thérapeutique contre l’ennui, le vide ou l’inquiétude du lendemain. Un discernement est indispensable. Certains adultes se révèlent pourtant davantage prêts à pratiquer l’accueil tous azimuts que le judicieux discernement.
Une pastorale des vocations serait ainsi utile
1) qui irait à la rencontre de ce "quelque chose" que cherchent les jeunes pour vivre dans notre société à l’approche du XXIème siècle (dimension socio-culturelle)
2) qui préciserait aux jeunes, selon la Bible, les données et les limites de la condition humaine de l’homme et de la femme (dimension anthropologique)
3) qui découvrirait avec les jeunes quelle est la vocation spécifique de chacun dans la société et dans l’Eglise (dimension mystique)

La non distinction de ces trois dimensions conduit à la confusion mortifère, déjà dénoncée dans l’aventure de Babel (Gen.11,1-9).

Les jeunes ne demandent qu’à être bien "dans leur peau" ou "dans leurs baskets", c’est-à-dire à réussir leur aventure personnelle. Comme chacun d’entre nous !

Pierre Moitel

Notes

1) Luc Pareydt "Génération sans héritage", Assas Editions, 1991. [ Retour au Texte ]

2) Tony Anatrella, "Quand la société a le blues", magazine "La Vie", n° 2478, 25 fév.1993, pp.18-20. [ Retour au Texte ]