Spiritualité


La spiritualité du prêtre diocésain

Réfléchir à la spiritualité du prêtre diocésain, en préciser les grandes lignes, voilà pour aujourd’hui une oeuvre très utile. C’est ce que propose René Pichon, responsable S.D.V. de Chambéry, à l’occasion d’une année de l’appel à ce ministère.

Il y a de nombreuses spiritualités dans l’Eglise, notamment les grandes spiritualités religieuses : jésuites, dominicaines, franciscaines, salésiennes... mais aussi la spiritualité de l’action catholique, la spiritualité charismatique, la spiritualité de la vie montante, bref, tous les mouvements et groupes d’Eglise constitués ont leur spiritualité plus ou moins élaborée.
Je crois qu’une spiritualité consiste surtout à donner des moyens privilégiés et un but précis à la vie spirituelle. Les moyens privilégiés, c’est par exemple pour les Jésuites les exercices spirituels ; le but précis c’est de permettre de s’identifier à tel visage du Christ, par exemple pour les Franciscains leur spiritualité leur permet de s’identifier au Christ Pauvre, serviteur des plus pauvres.
Quels sont donc les moyens privilégiés et le but précis qui caractérisent notre spiritualité de prêtres diocésains ?
Le but précis de notre vie spirituelle c’est de nous identifier au Christ-Pasteur, de nous configurer au Bon Pasteur donnant sa vie pour son troupeau, et non au Christ grand Prêtre de l’épître aux Hébreux. La spiritualité du prêtre de Vatican II c’est celle du pasteur et non celle du prêtre sacrificateur et homme du culte dans la ligne du Concile de Trente.
Voici le visage précis que nous avons à réaliser chacun et nous avons à le faire en exerçant un ministère diocésain, c’est-à-dire un ministère de proximité.
Si le but de notre vie spirituelle de prêtre diocésain, c’est de nous identifier au Christ Pasteur grâce à un sacerdoce de proximité, quels sont les moyens privilégiés pour atteindre ce but ?
Je voudrais les définir en comparant la spiritualité du prêtre diocésain avec celle des religieux : la spiritualité religieuse tourne autour de trois grands moyens :
1) Référence constante à un fondateur dont on essaie de vivre le charisme
2) Appartenance à une communauté de vie et à un institut qui aide à vivre ce charisme dans le quotidien
3) Observance d’une règle qui balise la vie des religieux.
Comment structurer la spiritualité du prêtre diocésain autour de ces trois pôles pour qu’elle paraisse aussi solide, aussi substantielle et donc aussi nourrissante et aussi appelante que celle des religieux ?

I - Le ministère, fondement de la vie spirituelle du prêtre diocésain.

Si on compare et définit la spiritualité du prêtre diocésain par rapport à la spiritualité religieuse, on peut dire : nous n’avons pas de fondateurs comme François de Sales, François d’Assise, Ignace de Loyola ou Charles de Foucauld... Mais notre référence, c’est le Christ Pasteur révélé dans les Evangiles, et c’est le Ministère des Apôtres, choisis et envoyés pour participer à la mission pastorale du Christ. La source qui nous renouvelle sans cesse dans notre vocation et notre mission, c’est la méditation de l’Evangile, la contemplation du Christ exerçant et faisant exercer sa mission par ses apôtres à qui nous sommes identifiés par l’Ordination.
Nous n’avons pas de fondateurs de la spiritualité de prêtre diocésain, à moins de dire que c’est le Christ, mais nous avons un fondement de notre vie spirituelle, c’est-à-dire une base à partir de laquelle on doit prendre les moyens de nous renouveler de l’intérieur dans notre vocation : cette base, ce fondement de notre vie spirituelle, c’est notre ministère. Voilà la grande affirmation du Concile Vatican II : le prêtre diocésain doit se nourrir spirituellement de l’exercice de son ministère.
Ainsi au numéro 14 de Presbyterorum Ordinis nous pouvons lire cette phrase-clef de notre spiritualité : "C’est l’exercice loyal, inlassable, de leurs fonctions dans l’Esprit du Christ qui est, pour les prêtres, le moyen authentique d’arriver à la sainteté".
Notre ministère ne doit donc pas nous épuiser, nous décourager, nous démotiver, même s’il y a des moments où c’est le cas, il doit au contraire nous nourrir, nous vitaliser, nous unifier et ainsi peu à peu nous identifier progressivement au Christ Pasteur.
C’est en forgeant qu’on devient forgeron : c’est en exerçant notre ministère, et non en le remettant systématiquement en cause ou en le rêvant, qu’on devient prêtre, signe du Christ Pasteur, et qu’on le devient de l’intérieur dans l’Esprit.

II - La communauté de vie du prêtre diocésain

Le religieux appartient à un institut qui le porte dans sa vie spirituelle et plus particulièrement à une communauté de vie, communauté fraternelle et spirituelle, qui le stimule dans sa vie humaine et spirituelle.
Le prêtre diocésain fait figure d’homme seul, les équipes de prêtres existent peu et de moins en moins. Par qui être porté et stimulé ?
Notre appartenance communautaire, c’est d’abord à un diocèse.
Mais par delà cette appartenance diocésaine globale qui définit notre communauté de vie, je crois que plus concrètement, et pour être réellement stimulés dans notre vie spirituelle, il faut se donner ce qu’on appelait et ce qu’on appelle encore au séminaire une "équipe de vie", une équipe de partage de vie, une équipe où régulièrement on se rencontre pour se dire ce qu’on vit.
Il y a certainement de multiples autres expériences que nous pourrions partager : comment vivons-nous l’amitié sacerdotale, les rencontres de prêtres, les repas communs, la prière commune, les associations de prêtres ? Avec qui faisons-nous réellement équipe de vie fraternelle et spirituelle ?

III - Les règles de vie du prêtre diocésain

Il n’y a pas de règle écrite de la spiritualité du prêtre diocésain mais des points de repère qui balisent sa vie spirituelle. En voici cinq :

1) La prière sacerdotale du Christ, modèle de la prière du prêtre diocésain, qui doit s’identifier au Christ Pasteur priant pour les siens ! Dans Jean 17, Jésus prie "pour que tous soient un afin que le monde croie". Cette prière sacerdotale de Jésus donne comme axe fondamental de la prière le souci de l’unité des siens, de sa communauté en vue de la mission. Voilà le modèle-type de notre prière de prêtres diocésains : demander l’unité pour la mission.
En outre, la prière du prêtre ne doit pas être d’abord une prière individuelle, pour lui, pour son bien,encore moins une prière pour se faire plaisir, une prière qui fait chaud au coeur, et c’est un peu la mode actuelle, mais un office, une charge, une manière de remplir sa mission. Sa prière n’est pas une dévotion personnelle mais fait partie de son travail, de sa vocation d’intermédiaire entre Dieu et les hommes.
Enfin le prêtre diocésain doit prier à partir de la vie des hommes à qui il est envoyé : il doit se nourrir de cette vie, de ses espoirs et de ses attentes, de ses joies et de ses souffrances.

2) La conversion personnelle, exigence de la vocation et de la mission du prêtre diocésain
Comme la prière, la conversion pour le prêtre ne répond pas d’abord à un désir personnel de sanctification mais fait partie de sa vocation, de son appel, de sa mission et de son envoi. Appelé à la manière des apôtres le prêtre doit être disciple avant d’être envoyé, il doit être "avec" le Christ et se laisser changer, "convertir" par lui, pour pouvoir agir ensuite en son nom, en sa personne.
Envoyé par le Maître de la Moisson, le prêtre ne doit pas seulement faire des choses, remplir des fonctions, ni même des services, mais être signe, c’est-à-dire porteur des fruits, les fruits de l’Esprit, les fruits de la conversion dans l’Esprit.
"Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis afin que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure".

3) La disponibilité pastorale.

Disponible au Christ et à son projet

Le prêtre ne s’appartient pas mais appartient au Christ : "Tu ne t’appelleras plus Simon mais Pierre"
Nous ne sommes donc pas à notre compte mais au service du Christ et de son plan sur le monde, "au compte" de l’Eglise !

Disponibilité aux hommes et à la mission.

Si le prêtre appartient au Christ, le prêtre diocésain appartient aussi et surtout à ceux à qui le Christ l’envoie dans un lieu donné.
Notre dépendance par rapport à un peuple inclut dans notre programme de vie le dérangement. Notre spiritualité est celle du dérangement accepté et vécu comme service de la mission. Etre constamment dérangés, c’est notre manière de vivre le service et la pauvreté, la dépendance.

4) La charité pastorale
Comme le Christ Bon Pasteur qui connaît ses brebis et donne sa vie par amour pour elles, le prêtre diocésain doit être proche de son peuple, chercher à le connaître et l’aimer dans l’affection pour les personnes et dans le don de sa vie.
Certes, il est difficile de connaître personnellement les gens et leur histoire à une époque où le manque de prêtres élargit leur champ de responsabilités. Mais cette connaissance personnelle doit être quand même l’objectif de notre sacerdoce qui ne doit pas se laisser piéger par le seul souci de structurer l’Eglise actuelle.
Aimer, c’est aussi guider, c’est-à-dire accepter d’exercer l’autorité de pasteurs, même si celle-ci est de plus en plus partagée avec des laïcs et des religieux : Claude Touraille fait remarquer dans "Prêtres diocésains" :
"Une communauté sans chef est une anomalie. Le vide alors provoqué appelle rapidement des substitutions sauvages et combien redoutables".
L’autorité d’ailleurs ne veut pas dire le pouvoir mais la capacité d’impulser et d’organiser le dynamisme créateur des personnes et des communautés.
Ainsi à la manière du Christ pasteur, c’est enfin se lier à une communauté, se lier affectivement et effectivement à un peuple, c’est-à-dire faire alliance comme l’Epoux avec l’Epouse.
Aimer effectivement, c’est être capable d’amitié, voire d’amitiés privilégiées au service de tous. Aimer effectivement, c’est accepter une communauté de vie et de destin avec les communautés, ne pas rester extérieur à leur histoire mais s’y impliquer, s’en imprégner, en être solidaire.
Le sens du célibat sacerdotal est dans ce mariage avec la communauté que la mission demande d’épouser. Le Concile définit ainsi le sens du célibat du prêtre :
"Il est à la fois signe et stimulant de la charité pastorale, source particulière de fécondité spirituelle dans le monde."
Le célibat du prêtre se justifie dans la mesure où il est la condition et le moteur d’un amour plus grand, plus disponible, plus total pour le Christ et pour le peuple vers qui le Christ l’envoie."

5) La communion presbytérale
De même que le prêtre n’est pas à son compte mais au service du Christ, de son projet et de son peuple, de même il n’est pas prêtre seul mais avec les autres. Il ne possède pas son sacerdoce personnel mais participe au sacerdoce commun d’un presbyterium.
Le prêtre est signe, sacrement du Christ-Tête dans la mesure où il est uni aux autres prêtres et travaille à la "fraternité sacramentelle du presbyterium". Cela repose la question des relations fraternelles à l’intérieur du presbyterium : amitiés, rencontres, visites, travail commun, réunions et prières communes, projets menés ensemble. Le Concile ne parle jamais du prêtre au singulier mais des prêtres au pluriel pour bien signifier que l’Unique Prêtre c’est le Christ et que tous les prêtres doivent être ensemble "son corps livré pour le salut du monde".
Comment cette "fraternité sacramentelle" se vit-elle dans nos secteurs ?

Conclusion
Je n’ai donné ici que quelques pistes de la spiritualité du prêtre diocésain en la comparant à la spiritualité des religieux. Je n’ai pas parlé de bien d’autres expériences et notamment des associations de prêtres.
Le débat reste donc ouvert, mais il est urgent de le continuer car l’enjeu en est le dynamisme des prêtres diocésains... et le renouveau de l’Appel à cette vocation.

René Pichon