Questions aux conférenciers


 ? Comment mieux connaître et tenir compte de l’imaginaire des jeunes ?
Jeunes et adultes mettent un sens différent à une symbolique commune pour véhiculer la foi. Comment faire pour que cette symbolique ne suscite ni méfiance ni méconnaissance mais rejoigne l’imaginaire des jeunes et entraîne leur adhésion à la foi ?

P. Simon : Je ne sais pas très bien répondre sur le comment faire. Mais je vois bien la nécessité d’ouvrir ce grand chantier. Il me paraît vital pour la catéchèse. Je ne fais que poser la question : des enfants ont-ils la possibilité concrète, au moment où ils se projettent imaginairement dans leur avenir, de "rêver" aussi, pourquoi pas, qu’ils seront un jour Missionnaires ? A 10 ans, ils peuvent rêver d’être pompier, cosmonaute, professeur ou mannequin. Pourquoi pas missionnaire ? Mais trouvent-ils ce modèle parmi ceux qui leur sont présentés à la télévision ou à l’école ? Quelle identification leur proposent les dessins animés japonais ? je crois légitime d’ouvrir au moins la question. Que sont devenus les "enfants de Goldorak" ?
Quelqu’un m’a dit : "ta façon de parler de cette structuration de l’imaginaire laisse penser que tu regrettes le temps où l’Eglise avait le monopole de la formation des consciences. "Je peux te rassurer : je ne crois pas regretter le monopole. D’ailleurs, en ce temps-là, existait-il ?? Mais pour aujourd’hui, même si je le regrettais, le risque d’y revenir est, pour le moins, limité ! Soyons lucides ; regardons la situation réelle des enfants réels. Le risque me paraît bien plus grand de les enfermer dans des images très utilitaristes de leur avenir.
A ceci près, cependant. Je suis frappé par l’importance des "records inutiles" dans la société française. On peut les lire comme le retour du "gratuit refoulé" ! On a le droit de traverser le pacifique à la rame. Peut-on rêver d’être missionnaire ? Pourtant, pour ramer, certains s’y connaissent... non ? On pourrait aussi le dire.
Je passe à un autre registre : récemment, il y a eu, dans tous les medias, une semaine de la francophonie. A ma connaissance, pas un mot sur les missionnaires. Pourquoi ? Ce sont pourtant, aussi, de bons vecteurs de la francophonie. Va-t-on rester longtemps avec une conception hémiplégique, et bien française, de la laïcité ? Autre exemple : au mois de septembre, France-Culture a consacré une semaine d’émissions à (je cite le titre) : "deux espèces en voie de disparition : les militants communistes et les missionnaires".
Vous voyez ma question : présenter les missionnaires comme une "espèce en voie de disparition", ça produit quoi dans l’imaginaire des enfants ? On leur présente l’abbé Pierre, Mère Teresa, Soeur Emmanuelle. C’est très bien. Et je ne retire pas ce que j’ai dit sur l’importance de la mémoire des Papys. Mais il ne faudrait pas que des enfants de 10 ans en viennent à dire : c’était bon pour eux, dans leur temps. Que faudrait-il en conclure pour nous, dans notre temps ? Vous voyez, on revient ici à ce que disait le Père Zago, au sujet de la pastorale de la jeunesse...

 ? Comment faire droit à l’important quand l’urgence nous presse, c’est-à-dire comment ne pas être accaparé par les services immédiats de la communauté rassemblée. Que restera-t-il dans un mois de cette session ?

Père Zago : Dans nos vies de diocèses et d’Instituts il faut des priorités. Et les priorités doivent être basées selon les grands défis, les grands besoins. De plus en plus on ne peut pas tout faire et moi je pense qu’une des priorités c’est celle des vocations. Il faut avoir le courage de laisser d’autres choses, que les morts enterrent les morts mais il faut regarder l’avenir. Et si on n’a pas de priorité dans les diocèses ou dans les Instituts , dont une est certainement les vocations, on ne construit pas l’Eglise. On perd son temps.

 ? Lors d’un départ en mission Fidei donum ou autre, quelle lecture de cet événement est faite par l’équipe locale, par les gens ? Est-elle toujours positive ? Comment aider à en faire une lecture positive ?

M. de Penanster : Tout dépend de la façon dont ce départ a été envisagé. D’où vient l’idée de départ ? D’un individu, ou d’un Corps qui envoie ? Comment a-t-il été préparé ? S’il est vécu comme un manque de personnel, un appauvrissement par ceux qui restent, alors ça va être lourd. Mais s’il est vécu comme un partage entre Eglises, alors il débordera de joie !
Référons-nous aux Actes : "De l’or et de l’argent, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne : le NOM de Jésus-Christ !" Alors je t’envoie ce gars, cette fille pour te porter le NOM de Jésus-Christ que moi-même, Eglise de France, j’ai reçu gratuitement, moi qui était païenne à l’origine !
Si l’on se sent une responsabilité dans l’envoi, et si l’on sent que c’est à des frères qu’on dédie ce cadeau-là, alors on aura de la créativité.
Référons-nous encore aux "envois" dans les Actes des Apôtres : "L’Esprit Saint leur dit ’mettez-moi donc à part Barnabé et Saul en vue de l’oeuvre à laquelle je les ai appelés’" (Ac.13) et, un peu plus loin (Ac.15) : "Nous avons décidé, d’un commun accord, de choisir des délégués -entendons aujourd’hui "coopérants et Fidei donum"- et de vous les envoyer avec nos bien-aimés Barnabé et Paul, ces hommes qui ont voué leur vie au Nom de Jésus-Christ" (= ces missionnaires à vie).
A nous, donc, d’inventer comment célébrer ces "envois" ; les occasions sont multiples : au cours de routes missionnaires, de voeux perpétuels de missionnaires qui reviennent les faire dans leur Eglise d’origine, il dépend de nous tous que ce soit interpellant. Si c’est une JOIE pour l’Eglise qui envoie, cela rayonnera, elle trouvera le moyen d’en faire une fête. Fête de partage pour le départ comme pour le retour. "Qu’est-ce que tu as vécu là-bas ? Qu’est-ce que tu peux nous apporter de leur vie de là-bas ?"...

 ? Comment montrer qu’il manque quelque chose à la vie chrétienne s’il n’y a plus la présence de vocations missionnaires ?

P. Zago : Je pense qu’on pourrait répondre à cela comme chrétien, comme personne, comme aussi au niveau de la communauté ou de l’Eglise locale.
Comme chrétien, on n’est pas disciple de Jésus-Christ sans avoir un coeur ouvert d’une manière concrète à l’humanité.Et aussi si on apprécie les dons de Dieu on sent le besoin de les transmettre. Aimer Dieu c’est être ouvert à son amour universel.
Je voudrais maintenant lire quelques textes de l’Encyclique au n° 1.11 : "Pourquoi la mission ? Parce qu’à nous comme à St Paul a été confiée cette grâce-là d’annoncer aux païens l’insondable richesse du Christ. La nouveauté de la vie en Lui est bonne nouvelle pour l’homme de tous les temps."
Donc ça part d’une conviction et de l’appel de Dieu.
Et au niveau de l’Eglise et de la communauté, je dirai qu’il n’y a pas d’Eglise catholique, d’Eglise de communion, d’Eglise en croissance sans ouverture aux autres. On ne peut pas être catholique en étant renfermé en soi-même, on ne peut pas faire la communion par bulletin ou par envoi d’évêque qui participent aux réunions épiscopales de temps en temps. On a besoin d’envoyés réguliers et qui restent. Et surtout une Eglise ne peut pas croître si elle ne regarde pas ce que l’Esprit suscite chez les autres et la créativité chrétienne ainsi produite.
Même au niveau des vocations, moi je pense qu’on aurait intérêt à avoir des témoignages de ce qui se passe dans d’autres pays d’Europe, dans d’autres pays du monde. On aurait des choses à apprendre et on aurait quelque chose à donner. Donc la croissance de l’Eglise est liée à cette présence missionnaire. Et l’Eglise ne pourrait pas être une Eglise d’eucharistie, d’action de grâce, sans partager ce don qu’est la foi.

P. Simon : Une autre raison d’insister sur la mission, c’est d’attester l’unité des nations. Là nous avons un service à rendre à l’humanité pour éviter la sacralisation des nationalismes.
Il y a un certain nombre d’endroits où on peut faire valoir que quand les marchands, les politiques, tout le monde est parti, les missionnaires, eux, sont restés. Je crois que c’est vraiment une grande leçon pour tout le monde y compris pour nous comme citoyens.

 ? On parle du missionnaire "pour la vie". Pourquoi faut-il ajouter ces mots qui hier étaient inutiles ? N’est-on pas trop méfiant en Eglise vis-à-vis de ce qui est temporaire ?

M. de Penanster : "Pourquoi rajouter ces mots" ? Parce que justement on prend en compte le contexte culturel et social d’aujourd’hui. Cette expression "pour la vie" fait autant question pour le mariage que pour la vie consacrée sur place, sacerdotale, apostolique, monastique, et la réponse à ce "pour la vie" implique une totalité, une radicalité.
Cela nous vient tout simplement de Jésus-Christ "sachant que son heure était venue il nous aima jusqu’au bout". Tous les grands dons se font à vie.
La deuxième partie de la question : "N’est-on pas trop méfiants en Eglise vis-à-vis de ce qui est temporaire ?". A nous de nous interroger sur notre façon de voir la complémentarité des appels. Paul a encore écrit aux Corinthiens : "L’oeil ne peut pas dire je ne suis pas la main, je ne fais donc pas partie du corps". Qu’il y ait des missionnaires à vie ne veut mépriser ni la démarche des coopérants ni celle des fidei donum, qui donnent quelques années à cette expérience d’une rencontre. Qu’il y ait des prêtres qui reçoivent le sacerdoce à vie ne veut pas déprécier l’apport indispensable des laïcs dans l’apostolat des communautés chrétiennes.
De plus, pour les missionnaires, "à vie" donne la possibilité de l’acculturation : apprendre les coutumes, la langue d’un peuple pour se préparer à lui appartenir pour toujours, ça prend du temps. Acculturation pour aider à l’inculturation de la Bonne Nouvelle. "A vie", parce que les gens savent à ce moment-là qu’ils peuvent compter sur nous. Notre démarche leur fait comprendre quelque chose de la tendresse de Dieu, d’un Dieu qui s’est incarné pour vivre à fond parmi nous et nous dire, par sa vie entière, que tout homme est aimé de Dieu. Et souvent on nous dit : "Toi tu es des nôtres, tu es avec nous.", "Celui-ci est à nous. Même s’il est mort en France on va récupérer ses os, ça nous appartient."
De plus, une Eglise qui naît a besoin d’être aidée pendant un long temps pour pouvoir poser des structures permanentes et stables. Une Congrégation locale a besoin d’une aide minimum de 25 à 30 ans avant de pouvoir assurer elle-même de façon autonome son propre gouvernement et la formation de ses membres. En plus il y aura des raisons pratiques. Le Père Zago me disait qu’en Indonésie on ne peut rester qu’en devenant citoyen du Pays.
Enfin, même en pays d’Islam, une vie tout entière vécue en fraternité avec des musulmans a un sens profond. Vie liée à celle d’un peuple aimé de Dieu ; vie "apparemment" non efficace pour l’Eglise visible, mais vécue sur le mode de la graine qui s’enfouit en terre et qui y meurt... Cela restera toujours le paradoxe évangélique le plus fort, le plus dérangeant, le plus parlant... tout en étant le plus silencieux ! Et là, nos amis sur place ne s’y trompent pas !

P. Zago : J’ajouterai aussi à ces raisons que l’Esprit appelle certaines personnes à aller pour un temps et d’autres à s’incarner sur place.

 ? Pourquoi dans une Eglise de France qui est missionnaire tant de résistances aujourd’hui pour les missions à l’extérieur ?

P. Simon : Je crois que cela tient à l’évolution dans l’histoire de notre pays. Il y a un travail à faire pour faire évoluer nos propres conceptions, pour redécouvrir aujourd’hui le sens de la mission, après colonisation et décolonisation.
Les prêtres ont tellement de choses à faire ! et puis, du fait que les "gentes" sont chez nous par l’immigration, on a le sentiment qu’il n’y a pas besoin de faire 1 000 km. pour trouver ce qu’on trouve au coin de sa rue. Il reste qu’il faut travailler sur ces "réticences". Comme on l’a dit tout à l’heure, les voyages à l’extérieur, les voyages de découverte et d’immersion dans d’autres églises peuvent être bénéfiques pour nous... La découverte d’expériences d’Eglises différentes est stimulante pour une redécouverte de la singularité de la Foi chrétienne.

P. Zago : Je pense qu’on peut partir de réticences pour découvrir la nouveauté. La mission ad gentes se joue là-bas mais elle se joue aussi ici. Il ne faut pas opposer et l’Encyclique le souligne. Je pense par exemple que le dialogue et même l’annonce de l’Evangile aux musulmans ne se jouera pas, ne doit pas se jouer au nord de l’Afrique mais en Europe. Parce qu’ici ils se trouvent dans un milieu pluraliste qu’ils n’ont pas là-bas et ici on peut avoir des ressources pour l’évangélisation qu’on a plus difficilement là-bas. Donc il ne s’agit pas de dire : "il faut aller là-bas, ici il n’y a pas besoin..." Non, on a besoin ici et moi, je suis missionnaire avec les pauvres qui ont besoin ici. Mais il ne faut pas nous renfermer, parce qu’il faut jouer sur les deux camps pour que l’Evangile trouve ses racines ici et là-bas, pour que le dialogue trouve des chemins là-bas et ici. Là on voit de plus en plus que la mission devient communion d’expériences et d’initiatives nouvelles.

 ? Faut-il s’adresser seulement aux jeunes qui sont repérables dans nos communautés chrétiennes ou aussi à ceux qui sont loin de l’Eglise ?

P. Zago : Je pense que là aussi on ne peut pas opposer. C’est sûr que les vocations surgissent d’un milieu de foi et nous devons cultiver ces milieux de foi. Mais ces jeunes-là qu’on cultive ils ne peuvent pas rester renfermés sur eux-mêmes. Avant tout ils doivent témoigner autour d’eux, auprès des jeunes ; c’est une condition de leur croissance et de leur identité. Les dialogues aujourd’hui dans un monde pluraliste comme aussi les témoignages de ce qu’on est sont une condition de croissance pour la personne et aussi c’est un chemin efficace. C’est le premier palier.
Le deuxième c’est qu’une Eglise doit s’adresser toujours par nécessité à ceux qui sont loin. On n’approfondit pas la foi de la communauté sans être ouvert à ceux qui ne croient pas, et avec la communauté. Cette pastorale de nouvelle évangélisation, c’est à dire d’évangélisation de ceux qui ne sont plus chrétiens porte des possibilités aussi pour les vocations. j’en ai l’expérience en rencontrant des jeunes qui viennent de loin et ont perdu la foi. Et le Seigneur peut appeler même ces gens-là.
Evidemment il y a un "décantement" quand quelqu’un se convertit il veut se donner. Tout de suite il veut être religieux, ce n’est pas toujours une vocation authentique. Donc il faut un "décantement" après la conversion. mais je soulignerai ce rapport réciproque entre la pastorale d’approfondissement de l’identité chrétienne à l’intérieur de laquelle naissent les vocations et la pastorale des jeunes, surtout les plus éloignés. Il y a là une complémentarité.

P. Simon : Je voudrais faire trois observations sur cette question des rapports aux jeunes qui sont loin de l’Eglise. Je crois qu’il faut qu’on soit lucide dans l’Eglise de France sur notre situation présente des communautés, mouvements, services de jeunes, etc... Qu’on ne se gargarise pas de ceux que nous rencontrons parce que nous pouvons les rencontrer dix fois à dix endroits différents, mais ce sont toujours les mêmes. Ceux qui font Czestochowa, qu’on retrouve à une ordination et qu’on retrouve à un week-end missionnaire.
Je crois qu’il faut qu’on travaille, c’est une conviction, à inverser la spirale qui tend à réduire à la marge le nombre de jeunes que nous rencontrons parce que ceux qui sont les mieux équilibrés, les mieux insérés dans la société française d’aujourd’hui n’ont plus le temps de participer aux activités qu’on leur propose. Je crois qu’il y a une programmation, une pression, une tension vers les réussites scolaires, professionnelles, etc... qui tiennent à la situation. Je ne leur reproche pas mais ils risquent d’être victimes de cette programmation et de ce point de vue là l’Eglise est une instance d’appel, de libération. Il faudra trouver, peut-être pendant les vacances, peut-être en utilisant mieux le dimanche, le moyen de rencontrer ces jeunes-là.
Je crois aussi que nous avons à nous ré-approprier l’expérience sacramentelle sans crainte de passer pour des intégristes ou des charismatiques. Nous avons à naviguer entre ces risques-là d’être étiquetés, parce qu’on va nous cataloguer dans telle ou telle catégorie si on insiste sur la prière ou sur les sacrements. Cela fait partie de la singularité de l’expérience chrétienne et de l’originalité de ce que nous avons à proposer aux jeunes d’aujourd’hui. C’est une intuition que je voudrais creuser. Il faut probablement travailler pour la re-découverte , la réappropriation de l’expérience sacramentelle parce que cela fait partie des pré-requis pour la vocation. On a parlé ce matin de préalables humains (équilibre, etc...) psychologiques mais il y a aussi des préalables tout simplement de maturation dans l’expérience singulière du salut en Christ. Nous avons un travail à faire.
Troisième observation. j’insiste sur la structuration de l’imaginaire par le détour des grands médias.