Les vocations dans Pastores dabo vobis


Le Père Charles Bonnet, supérieur provincial de la Compagnie de Saint Sulpice, nous dresse ici une analyse de la lettre Pastores dabo vobis, plus particulièrement dans la manière dont elle aborde la question des vocations.

Nous publions ici la première partie de cet article. Le numéro suivant de Jeunes et Vocations proposera la suite : La pastorale des vocations dans Pastores dabo vobis.

Quelques mois avant le synode, lors d’une rencontre avec le secrétaire de la Congrégation pour l’Education Chrétienne, j’eus l’occasion de lui dire "Vous allez faire un synode sur la formation des prêtres, c’est très bien mais en France le problème n’est pas là. En tenant compte des limites de toute institution, la formation donnée dans les séminaires est de bonne qualité, les formateurs sont compétents et très engagés dans leur tâche. Le problème c’est qu’ils ont peu de gens à former. C’est là qu’est la crise et non dans les séminaires. Il ne sert à rien de faire un synode pour réformer ou améliorer la situation s’il n’y a personne à former."

Je crois que le synode en a été bien conscient lui aussi. Même si son projet avoué était la formation des prêtres, le problème des vocations a été sous-jacent à tout son déroulement et a conditionné toute sa recherche. Le titre donné à l’exhortation post- synodale le montre bien. "Pastores Dabo vobis... Je vous donnerai des pasteurs". Le n° 1 de l’exhortation commente ainsi cette phrase :

"Par ces paroles du prophète Jérémie, Dieu promet à son peuple de ne jamais le laisser sans pasteur... La foi nous enseigne que le Seigneur ne peut manquer à sa promesse... Cette promese constitue... le fondement et le stimulant d’un acte de foi plus grand et d’une espérance plus vive face à la grave crise de vocations en d’autres parties du monde...".

Il cite pour l’appuyer la proposition n° 2 du synode :

"le synode est conscient de l’activité constante de l’Esprit dans l’Eglise. Il croit profondément que l’Eglise ne sera jamais dépourvue de ministres sacrés. Même si en diverses régions on note une pénurie de prêtres, l’action du Père qui suscite les vocations ne manquera cependant jamais à son Eglise"

...et rappelle l’homélie de Jean Paul II pour la clôture du synode :"Face à la crise des vocations sacerdotales, comme je l’ai dit en conclusion du synode, la première réponse de l’Eglise se trouve dans un acte de foi total à l’Esprit Saint. Nous sommes convaincus que cet abandon confiant ne décevra pas si nous demeurons fidèles à la grâce reçue."
Devant la crise nous sommes invités à espérer contre toute espérance. Mais si Dieu appelle, pourquoi si peu de réponses ? Si Dieu n’est pas en cause, où se situe la crise ? Les hommes sont-ils incapables d’entendre l’appel ? Sont-ils infidèles à la grâce reçue ? Que faire pour que la réponse soit plus prompte et plus massive ?

Nous allons voir comment l’exhortation post synodale répond à ces questions. Nous cherchons quelles causes elle reconnaît à la crise des vocations et quelle pastorale elle propose pour y remédier. Mais il nous faudra d’abord examiner quelle idée elle se fait de la vocation car cela conditionne tout ce qui sera dit par la suite.

La notion de vocation

Il est souvent question de vocation dans l’exhortation mais l’essentiel se trouve au chapitre 4 "VENEZ ET VOYEZ... la vocation sacerdotale dans la pastorale de l’Eglise".

Pour l’exhortation, une chose est nette. La vocation ne concerne pas que les prêtres. Tout chrétien est appelé, a une vocation. La vocation sacerdotale "appel à vivre le sacerdoce unique et permanent du Christ" (n° 5) n’est qu’un cas particulier de la vocation de tout chrétien. Cette vocation chrétienne, la proposition n° 15 du synode reprise par le n° 40 de l’exhortation la définit comme "le désir d’accomplir la volonté de Dieu dans l’état le plus adapté à chacun" ajoutant ici comme ailleurs "sans jamais exclure la vocation sacerdotale".

Mais quand il s’agit de décrire cette vocation, le texte oscille constamment entre une vision très subjectiviste : la vocation serait une démarche d’appel et de réponse dans un tête à tête avec Dieu, et une lecture plus objective centrée sur l’Eglise. Le synode avait d’abord privilégié la première approche. Dans les premières rédactions des propositions finales du synode la vocation était vue uniquement comme appel intérieur de Dieu, et ce n’est qu’à l’occasion du tout dernier vote qu’on a introduit la dimension ecclésiale de la vocation et souligné que toute vocation a besoin de la médiation de l’Eglise.

Si le synode a failli oublier la place de l’Eglise dans la vocation, le texte de l’exhortation post synodale se rattrape. Il donne à l’Eglise une place prépondérante. La vocation tient une place importante dans l’Eglise parce que l’Eglise est elle-même "mystère de vocation". La fin du n° 34 et le n° 35 le disent très bien. Appel est son nom : ecclesia (convocation). La vocation, l’appel constitue son être. Elle a été appelée de toute éternité par Dieu, elle appelle en son nom, elle est le rassemblement de ceux qui sont appelés. Aussi puisque "par nature, l’Eglise est vocation, elle est génératrice et éducatrice de vocations".

Toute vocation vient de l’Eglise :"Toute vocation vient de Dieu est don de Dieu mais elle n’est jamais donnée en dehors ou indépendamment de l’Eglise... elle dérive de sa médiation... elle se fait reconnaître et s’accomplit dans l’Eglise."

Toute vocation est pour l’Eglise :"...elle se présente aussi et nécessairement comme rendant service à l’Eglise. La vocation chrétienne dans toutes ses formes est un don destiné à l’édification de l’Eglise."

Ce qui est vrai de toute vocation chrétienne est encore plus vrai de la vocation sacerdotale. Et le texte cite précisément la proposition ajoutée par les Pères du synode au dernier moment :
"La vocation de chaque prêtre existe dans l’Eglise et pour l’Eglise. C’est par elle que s’accomplit cette vocation. Il s’ensuit que tout prêtre reçoit la vocation du Seigneur par l’intermédiaire de l’Eglise comme un don gracieux. Il appartient à l’évêque et au supérieur compétent non seulement de soumettre àexamen l’aptitude et la vocation du candidat mais aussi de la reconnaître. Une telle intervention de l’Eglise fait partie de la vocation au ministère presbytéral comme tel."

A tel point que pour le synode la vocation sacerdotale au sens strict du terme c’est l’ordination par l’évêque. Le n° 35 le laisse entendre :
"Cette vocation (sacerdotale) est un appel par le sacrement de l’Ordre, reçu dans l’Eglise, à se mettre au service du peuple de Dieu avec une appartenance spéciale et une configuration à Jésus-Christ comportant l’autorité d’agir au nom et dans la personne de celui qui est la Tête et le Pasteur de l’Eglise."

Ce texte constitue par ailleurs un parfait résumé de la nature et de la mission du sacerdoce ministériel telle que les décrit le chapitre 2 de l’exhortation et qui reviennent comme un leitmotiv lancinant tout au long du document post synodal. Ce qui n’est qu’esquissé ici, est repris de façon beaucoup plus explicite dans le chapitre 6 sur la formation permanente des prêtres. Le n° 70 dit clairement que la vocation sacerdotale c’est d’abord le sacrement de l’ordre. C’est au jour de l’ordination que Dieu appelle au sens strict du terme, que se reproduit pour le prêtre la scène de l’appel des apôtres de l’Evangile. C’est ce jour-là que Dieu parle à travers l’Eglise comme au temps des prophètes et des Apôtres.

n° 70 :"Le sacrement de l’ordre... peut être considéré comme parole de Dieu. Il est parole qui appelle et qui envoie et il est l’expression la plus forte de la vocation et de la mission du prêre. Par le sacrement de l’ordre Dieu appelle en présence de l’Eglise le candidat au sacerdoce. Le "viens et suis-moi" de Jésus est proclamé totalement et de façon définitive dans la célébration du sacrement de son Eglise ; il se manifeste et se communique par la voix même de l’Eglise sur les lèvres de l’évêque qui prie et impose les mains."

L’ordination est le sacrement de la vocation mais ce n’est pas la fin de la vocation. C’est au contraire la source de toutes les vocations ultérieures : toutes les vocations à venir s’enracinent là.

n° 70 :"Et le prêtre répond dans la foi à l’appel de Jésus "Je viens et je te suis". Commence alors cette réponse, cette option fondamentale qui doit être ré-exprimée et réaffirmée au long des années par de si nombreuses autres réponses toutes enracinées et vivifiées par le oui de l’ordination. En ce sens il est possible de parler d’une vocation dans le sacerdoce. En réalité Dieu continue à appeler et envoyer quand il révèle son salut dans le déroulement de la vie du prêtre, dans les évènements de l’Eglise et de la société. C’est dans cette perspective qu’apparaît la signification de la formation permanente. Elle est nécessaire pour discerner et suivre cette constante vocation ou volonté de Dieu."

La vocation sacerdotale se présente comme "acheminement vers" chez celui qui désire être prêtre, et "accomplissement" chez celui qui a été ordonné, d’une vocation qui n’est certaine et définitive qu’au jour de l’ordination. C’est là que s’unifient les vocations particulières et successives du prêtre et du futur prêtre. Dans cette perspective, il faudrait dire de celui qui désire être prêtre, non qu’il "a" la vocation mais qu’il est en route vers la vocation, qu’il est volontaire pour la vocation, qu’il aspire à la vocation.

Mais à côté de cette présentation de la vocation qui donne à l’Eglise le rôle primordial, on retrouve d’autres passages où la vocation semble se limiter à un tête à tête entre Dieu qui appelle et celui qu’il appelle sans aucune médiation extérieure. Juste après cette présentation, le n° 36 donne une tout autre image de la vocation :"L’histoire de toute vocation sacerdotale comme de toute vocation chrétienne est l’histoire d’un ineffable dialogue entre Dieu et l’homme, entre le don gratuit de Dieu et la liberté responsable de l’homme."

Tout ce numéro va présenter le jeu de deux libertés qui se croisent : liberté de Dieu qui appelle qui il veut. On dirait presque arbitraire de Dieu, qui n’écoute que son bon plaisir. Liberté de l’homme qui peut ne pas répondre mais qui en répondant oui, n’aliène pas sa liberté mais la porte à son sommet : en se donnant il ne se perd pas mais se trouve. Tout ce numéro est illustré de scènes d’évangile où l’on voit Jésus appeler ses Apôtres et ceux-ci tout laisser pour le suivre comme Pierre, André, Jacques ou Jean, ou ne rien vouloir laisser comme le jeune homme riche. On n’y voit qu’un dialogue immédiat entre Dieu et les hommes, entre Jésus et les disciples. On y rejoint d’ailleurs la scène qui ouvre ce chapitre 4 : Jésus invitant les disciples de Jean à venir et voir. Ce que l’exhortation appelle "l’évangile de la vocation" n° 34. Dans tous ces textes, jamais le mot Eglise n’est prononcé.

Cette représentation théologique de la vocation est très belle et très vraie. Personne ne peut se présenter au sacerdoce sans y être appelé par Dieu. Personne ne peut s’imposer à Dieu en faisant du sacerdoce son projet personnel encore moins le moyen de sa promotion. "La vocation est un don de la grâce divine et jamais un droit de l’homme" n° 36. Toute vocation est liberté : elle est transformation intérieure d’un homme qui acepte de livrer sa vie à Dieu.

Mais cette présentation présente des risques si elle devenait unilatérale, ce qui n’est pas le cas de l’exhortation même si les deux aspects sont plus juxtaposés que noués. L’utilisation des scènes d’appel de l’évangile pour présenter la vocation risque de la faire apparaître comme un appel direct et immédiat de Dieu s’adressant explicitement à celui qu’il appelle comme Jésus le faisait pour ses disciples et ses apôtres. L’appel de Jésus ne peut plus se faire aujourd’hui de cette façon-là. Or cette présentation pourrait induire que si Dieu ou le Christ n’appellent plus de l’extérieur par une désignation directe, ils pourraient adresser un appel intérieur de même type. Dieu me parlerait aujourd’hui de l’intérieur et je n’aurais qu’à répondre "La vocation est certainement un mystère insondable qui implique la relation que Dieu établit avec l’homme, mystère perçu et ressenti comme un appel attendant une réponse venue du fond de la conscience" dit le n° 38 citant Gaudium et Spes n° 16. Cette expression qui, dans le texte cité, est corrigée immédiatement par un appel à la médiation ecclésiale, est ambigue et peut engendrer l’illusion ou le désarroi. Le désarroi de ceux qui ne percevant rien risquent de ne pas se croire appelés. L’illusion de ceux qui croient avoir entendu ou au moins senti : je sens que Dieu m’appelle ; donc vous devez m’appeler sinon vous vous opposez à Dieu.

Il y a là une priorité dangereuse donnée à la subjectivité. On risque de laisser croire qu’une certitude de notre foi : toute vocation est fruit d’un appel de Dieu, se traduit psychologiquement par un sentiment d’appel. La vocation n’est pas de l’ordre du ressenti, d’une perception qui porterait en elle-même sa certitude pour celui qui la reçoit et à la limite pour lui seul, mais de l’ordre des signes : désir, aptitudes, joie de se préparer au ministère, signes qui nécessitent un discernement où j’ai besoin du regard d’autrui et en définitive de l’Eglise. Or l’appel peut se manifester par bien des démarches psychologiques, par exemple, simplement, par le sentiment très fort des besoins de l’Eglise. Se proposer comme volontaire pour y répondre peut être expression et signe d’un appel. On rejoint la démarche qui fut celle d’Isaïe ou du Fils entrant en ce monde ; ils perçoivent une absence et répondent "me voici". Il y avait beaucoup de sagesse dans la réflexion de cet enfant de 6 ans qui annonce à sa grand’mère qu’il veut être prêtre. Comme elle lui demandait "Pourquoi veux-tu être prêtre ?" il répondit "mais parce qu’on en manque". Le besoin ressenti de l’Eglise fait naître la disponibilité : me voici si vous croyez que je peux faire l’affaire. Alors peut commencer le discernement : celui qui se présente pour être prêtre est-il fait pour, "adapté pour faire la volonté de Dieu" dans ce service et dans cette existence-là ? pour reprendre en l’inversant la définition de la vocation donnée plus haut.

Or précisément le texte post synodal est très court sur le discernement. On donne bien comme tâche de discerner "l’authenticité de l’appel". Mais rien n’est dit sur la façon concrète dont va se passer ce discernement : la responsabilité du discernement, ses modes d’exercice, les temps, les moyens, les acteurs, que ce soit avant le séminaire ou pendant. Le chapitre sur la formation considère le séminaire comme un lieu et un temps de formation mais fait silence sur le discernement des vocations qui mobilise pourtant une part importante de l’attention et de l’activité des formateurs. Rien n’est dit non plus au moins "ex professo" sur les critères de vocation. Bien sûr tout ce qui est dit au chapitre 5 sur la formation humaine, spirituelle, pastorale et intellectuelle et ce qu’elle doit mettre en place laisse entendre a contrario que si la formation n’arrive pas à obtenir les éléments demandés, il y a là une contre-indication. On pourrait même à partir de là établir une liste de critères bien que sans priorité entre les exigences, sans distinction de ce qui est indispensable sous peine de remise en cause de l’orientation vers le sacerdoce, de ce qui est souhaitable, de ce qui est secondaire.

Malgré tout ce texte reste peu opératoire pour les formateurs ou les responsables de vocation. Il ne répond guère à leurs questions. On dira que ce texte devait en rester à des généralités et ne pas traiter de tout. Sans doute, mais ce désintérêt trop visible pour les procédures et critères de discernement risque d’entretenir un peu plus une vision très subjective de la vocation : c’est une affaire entre Dieu et moi. Ce qu’on demande alors au séminaire c’est de former ceux qui se sentent appelés, pas tellement de vérifier, voire contester cet appel. Mais si ce silence n’empêchera pas les formateurs de continuer leur travail, il risque d’être dommageable pour le développement même des vocations.

Insister sur l’appel c’est bien mais si on ne donne pas à ceux qui se posent la question du sacerdoce des points de repère pour un premier discernement (à quels signes reconnaître que Dieu m’appelle ?), ils risquent d’en rester là et de ne pas chercher plus loin. Pourtant savoir ce qu’est la vocation et comment elle se manifeste est un élément non négligeable de la pastorale des vocations. Le synode a dit des choses très riches sur ce qu’est cette vocation, même si elles ne sont pas totalement unifiées. Il est resté en chemin sur le discernement.

Charles Bonnet

A suivre... (N° 69 de Jeunes et Vocations - Avril 1993)

Dans le prochain numéro :
2 - Les causes de la crise des vocations
3 - La pastorale des vocations dans Pastores dabo vobis.