L’incardination des prêtres d’après Jean Paul II


Dans sa récente exhortation apostolique "Pastores dabo vobis", le pape Jean Paul II parle deux fois de l’incardination des prêtres, -ainsi que de leur appartenance et de leur dévouement à l’Eglise particulière. Son propos est assez nouveau et valorisant pour les prêtres diocésains que nous sommes justement par l’incardination à notre diocèse propre, à la différence des religieux ou des prêtres appartenant à d’autres diocèses.

  • Voici une première citation sur ce sujet ; elle est extraite du chapitre III portant sur la vie spirituelle des prêtres (n°31) :
    "Il faut considérer comme une valeur spirituelle du prêtre son appartenance et son dévouement à l’Eglise particulière. Ces réalités ne sont pas seulement motivées par des raisons d’organisation et de discipline. Au contraire, le rapport avec l’évêque dans l’unité du presbyterium, le partage de sa sollicitude pour l’Eglise, le dévouement pastoral au service du peuple de Dieu, dans les conditions sociales et historiques concrètes de l’Eglise particulière, sont des éléments qu’on ne peut pas négliger, quand on veut tracer le portrait du prêtre et de sa vie spirituelle.
    En ce sens, l’incardination ne se réduit pas à un lien juridique, mais elle suppose aussi une série d’attitudes et de choix spirituels pastoraux, contribuant à donner sa physionomie propre à la vocation du prêtre."


  • Une deuxième citation, ci-après, est tirée du chapitre VI, sur la Formation permanente des prêtres (n°74) :
    "De façon plus spécifique, le prêtre est appelé à développer la conscience d’être membre de l’Eglise particulière à laquelle il est incardiné, c’est-à-dire intégré par un lien à la fois juridique, spirituel et pastoral. Une telle conscience suppose et développe l’amour particulier pour sa propre Eglise.
    En réalité, cette Eglise est l’objet vivant et permanent de la charité pastorale qui doit guider la vie du prêtre. La charité pastorale le conduit en effet à partager l’histoire et l’expérience de vie de son Eglise particulière, avec ses richesses et ses fragilités, ses difficultés et ses espérances, et à travailler pour elle en vue de sa croissance.
    Ayant beaucoup reçu de son Eglise particulière et participant activement à son édification, chaque prêtre, uni à ses confrères, prolonge l’activité pastorale de ses prédécesseurs. C’est une exigence naturelle de la charité pastorale à l’égard de son Eglise particulière et de son avenir ministériel qui engage le prêtre à se soucier de se trouver, en quelque sorte, un successeur dans le sacerdoce."

  • On pourrait craindre une interprétation de ce texte dans le sens d’un isolationnisme diocésain. Mais le pape ajoute aussitôt :
    "Le prêtre doit grandir aussi dans la communion qui subsiste entre les diverses Eglises particulières, une communion enracinée dans leur être même d’Eglises qui vivent localement l’unique et universelle Eglise du Christ. Une telle conscience de la communion inter-ecclésiale favorisera ’l’échange des dons’, en commençant par ces dons vivants et personnels que sont les prêtres eux-mêmes qui s’engagent généreusement pour réaliser une distribution équitable du clergé."

  • On pourrait aussi redouter que l’insistance sur la valeur spirituelle de l’incardination et de l’appartenance à l’Eglise particulière, ne dévalorise les Associations sacerdotales interdiocésaines, les Sociétés cléricales de vie apostolique, les Instituts séculiers de prêtres, et même les Congrégations de religieux-prêtres. Aussi le pape rappelle le bienfait de leurs charismes spécifiques et de leurs ministères qualifiés (n°31).
    Il semble bien pourtant que ces dangers ne soient pas très grands à l’heure actuelle. C’est plutôt le clergé diocésain qui est sous-évalué et semble manquer de mystique identitaire. Les ouvrages du chanoine Masure (Lille) et du chanoine Thils (Louvain) sur "Le Prêtre diocésain" sont bien oubliés. D’où le prix et l’opportunité des récentes précisions apportées par le pape. Il est à souhaiter que ses paroles trouvent un large écho, à commencer dans la conscience des prêtres diocésains.

  • On peut aussi espérer qu’à partir de ces affirmations claires et motivées du pape, les théologiens et les canonistes réviseront leur conception de l’incardination, réduite à une modalité d’organisation ecclésiale et à un précepte disciplinaire. En effet, l’incardination est une prescription qui remonte au Concile de Nicée (a.325) pour éviter les "ordinations absolues" et les "clercs vagi", c’est-à-dire sans lien avec un évêque et une Eglise particulière. C’est donc, dit-on, une "figure juridique" qui s’applique seulement aux diacres et aux prêtres, en raison de leur condition essentielle d’être les aides et les collaborateurs d’un évêque déterminé auquel ils sont statutairement liés et dont ils reçoivent une charge pastorale à exercer en accord avec l’évêque, qui doit leur fournir les moyens de subsistance ; Il est clair que l’incardination ainsi définie est une "figure juridique" qui n’est pas à proprement parler applicable aux évêques.

  • Ceux-ci ne sont incardinés nulle part. On dit que, par leur ordination épiscopale, ils sont simplement constitués pasteurs dans l’Eglise universelle. Il faut avouer que cette formule est bien abstraite et peu éclairante pour des êtres qui ont les pieds sur terre...
    Quoi qu’il en soit des évêques, il est très important que le pape Jean Paul II affirme résolument que "l’incardination ne se réduit pas à un lien juridique, mais elle suppose aussi une série d’attitudes et de choix spirituels pastoraux, contribuant à donner sa physionomie propre à la vocation de prêtre."

    Il reste à préciser comment l’incardination à une Eglise particulière doit être intégrée dans la formation initiale et permanente, ainsi qu’à la vie spirituelle des prêtres diocésains.

Joseph Wicquart
ancien Evêque de Coutances