Sacrement de l’Eglise, sacrement de l’initiation chrétienne


Louis-Marie Chauvet
professeur de théologie à l’Institut Catholique de Paris

La confirmation, un sacrement de l’Église

D’une manière générale, qu’est-ce qu’un sacrement ?

Saint Augustin dit du sacrement qu’il est « comme la parole rendue visible ». Il faut distinguer le discours et la parole. Sur le plan humain, c’est d’abord le discours (officiel, intérieur...). La parole renvoie au lieu où se tient l’instance, le sujet comme sujet, la personne comme personne. La parole, au-delà du discours, est dans le rythme, le ton, les silences, les lapsus, les mimiques...

Je dis quelque chose sur quelque chose, je le dis à quelqu’un : j’attends une écoute, une communication, une reconnaissance.

La parole, même si « l’on parle pour ne rien dire », c’est ce qui nous tient vivant. C’est le « pain substantiel ». Elle veut dire : « Tu sais, je t’aime... »

La parole nous travaille, nous transforme : en ce sens, rien n’est plus efficace qu’une parole, même si c’est à long terme. La parole, c’est ce qui reste dans le cœur. Si je n’ai plus de place dans le cœur de personne, je meurs : que voit-on avec les vieilles personnes qui vivent dans une solitude quasi totale ?

Parole de Dieu et sacrement

Les Pères de l’Église parlaient des Écritures comme sacrement. Voir aussi la constitution de Vatican II sur la révélation (Dei Verbum 21 ) : « L’Église a toujours témoigné son respect à l’égard des Écritures, tout comme à l’égard du Corps du Seigneur lui-même puisque, surtout dans la Sainte Liturgie, elle ne cesse, de la table de la Parole de Dieu comme de celle du Corps du Christ, de prendre le pain de vie et de le présenter aux fidèles. » Nous sommes dans le champ de Dieu, lequel est labouré, retourné, nous dirons converti par le soc de la charrue, c’est-à-dire par la Parole de Dieu qui agit sur un mode visible, un rituel, un sacrement. Pour que la charrue avance, il faut une force de traction : c’est l’Esprit Saint ; la grâce est le fruit de ce travail de retournement.

Saint Thomas d’Aquin parlait de la grâce incréée, parlant de la sorte de l’Esprit Saint, et de la grâce créée, c’est-à-dire de l’effet, gratuit et gratifiant de cette grâce incréée. Un adage du Moyen-âge disait : « Dieu n’a pas lié sa puissance de salut aux sacrements. » Prenons un exemple : le baptême de désir a réelle valeur ; de même on n’attend pas le jour de sa confirmation pour vivre de l’Esprit Saint.

La confirmation, un sacrement de l’Église

La confirmation est sans aucun doute un sacrement à préparer et à célébrer en Église. Il faut donc partir de la communauté ecclésiale. Tout sacrement est « communautaire ». Le sacrement atteste que nous sommes en Église. En même temps, il conteste, car il interpelle l’Église, la communauté. Quelques questions peuvent se poser à propos des sacrements et de la communauté. Par exemple :

• Le sacrement des malades ; la communauté est-elle vraiment engagée envers les malades ?

• Le baptême d’un enfant d’immigrés : comment la communauté accueille-t-elle le nouveau baptisé et ses parents ?

• La confirmation : en quoi la communauté est-elle prête à témoigner ?

Comment la communauté peut-elle être le signe vivant de l’Esprit-Saint, et non pas un contresigne ?

La confirmation, marque du don de l’Esprit Saint

« Sois marqué de l’Esprit Saint, le don de Dieu » est la formule-clé de la confirmation.

La question de la marque de l’Esprit Saint s’est posée dès le Ve siècle, lorsque la confirmation a été séparée du baptême. A l’époque, l’évêque de Riez, en Provence, avait tenté la comparaison suivante : « Le baptême, c’est le sacrement de la naissance, la confirmation celui de la croissance. »

Autre parallèle qui peut éclairer le sujet : pour le Christ, il y a eu Pâques et la Pentecôte ; pour le chrétien, il y a le baptême et la confirmation. On peut donc dire que la Pentecôte vient déployer la portée de Pâques pour l’humanité et que, de la même manière la confirmation vient déployer, parachever la portée du baptême, et en particulier sa composante pneumatologique. Enfin, sur le plan ecclésial, on peut dire que la confirmation tourne le baptisé vers son rôle de témoin ; et sur un plan personnel, elle le tourne vers le combat intérieur contre les forces du mal. Je terminerai par la citation de la lettre de saint Paul aux Galates : « Voici ce que produit l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité, maîtrise de soi » (5, 22-23).

La confirmation,
un sacrement de l’initiation chrétienne

Unité de l’initiation chrétienne

Repartons de saint Augustin : « Quand vous êtes entrés en catéchuménat, vous avez été engrangés. Pendant votre préparation au baptême, vous avez été moulus pour devenir de la farine. Dans la fontaine baptismale, l’eau a été mélangée à la farine et vous avez été pétris pour devenir "pâte". Par la confirmation, la cuisson du Saint Esprit a fait de vous le pain du Seigneur. Soyez donc ce que vous voyez et recevez ce que vous êtes. »

Ceci montre bien que le point final, c’est l’Eucharistie ; le baptême est finalisé par l’Eucharistie. Si l’on se réfère à Jean-Paul II (Christifideles laici), on peut aussi dire que baptême, confirmation et eucharistie sont un seul sacrement.

La confirmation comme élément du baptême

Pendant les cinq premiers siècles de l’Église, la confirmation n’a pas d’existence indépendante du baptême ; le geste de l’onction qui fait partie du rituel baptismal n’a pas de nom en propre. C’est dans la deuxième moitié du Ve siècle, en Gaule, que le terme « confirmation » apparaît. A cette époque, la confirmation ne se veut pas un espace supplémentaire mais elle veut affirmer le baptisé en complétant ce qui a été fait au baptême. Confirmer signifie affermir le baptisé en complétant. Cela signifie aussi que chaque baptisé doit passer entre les mains de l’évêque. Il nous faut donc retenir les points suivants :

• même si elle est séparée temporellement du baptême et de l’eucharistie, la confirmation ne vaut que par le lien organique avec les deux autres sacrements de l’initiation ;

• même reçue longtemps après le baptême, elle lui est liée ;

• s’il est normal et souhaitable, dans la culture actuelle, que la confirmation prenne un poids important pour les jeunes (ils ratifient en quelque sorte leur baptême), en revanche il ne faut jamais lui donner un poids théologique supérieur à celui du baptême.

Les variations du rite

Il y a eu dans l’histoire deux axes de variation du rite, selon les Églises et selon les époques. Voici quelques références :

• Corneille reçoit la confirmation avant son baptême (Ac 10, 44-48) : ceci se retrouve dans l’Église d’Antioche jusqu’au IVe siècle et est attesté dans les écrits de saint Éphrem.

• Les deux sacrements surviennent simultanément (Ac 2, 37-41) : simultanéité que l’on retrouve au IVe siècle à Constantinople, attestée par saint Jean Chrysostome.

• Enfin, la confirmation vient après le baptême, dès la première Église : Pierre et Jean en Samarie (Ac 8, 14-17), ou encore Paul à Éphèse (Ac 19, 1-7). Cette tradition de la confirmation immédiatement après le baptême s’est perpétuée jusqu’à la fin du Ve siècle en Occident.

La symbolique de l’onction, déjà à cette époque, était l’imprégnation. On peut aussi mentionner la symbolique de la bonne odeur de l’huile parfumée.

La séparation de la confirmation du baptême

Cette séparation, au cinquième siècle, ne s’est faite qu’en Occident : au tout début il arrivait qu’un presbytre (un prêtre) baptise une personne en danger de mort ; si elle survivait, il fallait la conduire à l’évêque pour que son baptême soit « perfectionné ». La généralisation de cette pratique est due à la croissance du nombre de chrétiens et donc au fait que l’évêque ne pouvait se trouver disponible au moment des baptêmes.

A partir de là deux traditions fortes se sont formées :

• celle de l’Église d’Orient, où le prêtre pouvait confirmer, l’huile ayant été consacrée, bénie par l’évêque.

• celle de l’Église d’Occident, où la pratique s’est généralisée, à partir du VIIIe siècle, de passer par l’évêque.

On voit donc que dans ce cas, la théologie des sacrements est venue justifier a posteriori les pratiques qui s’étaient fait jour.

Conséquences de la séparation de la confirmation et du baptême

L’ordre des sacrements a été, de manière constante : baptême, confirmation, eucharistie (toujours en position terminale). Jusqu’au VIIIe siècle, on donnait l’eucharistie aux petits enfants, sous forme de quelques gouttes de vin consacré.

Il n’y a pas d’âge pour recevoir la confirmation ; cependant l’Église latine demande pour la confirmation d’avoir l’âge de raison. Ceci est une position disciplinaire plus que dogmatique et est donc révisable. Vers le Xe siècle, lorsque la séparation temporelle est complète dans toute l’Église d’Occident, l’ordre des sacrements d’initiation est toujours : baptême, confirmation, eucharistie.

A la suite du décret Quam singularis de Pie X, dû aux tendances jansénistes de l’époque qui rendaient rare la pratique des sacrements, les fidèles n’en étant jamais « dignes », l’ordre est devenu officiellement : baptême, eucharistie (à l’âge de raison), confirmation.

A partir de ce moment, il y a eu une difficulté théologique que nous reprochent d’ailleurs nos frères des Églises orientales, en particulier les orthodoxes. Le problème réside là, non pas dans la séparation entre les trois sacrements, mais dans leur ordre. La pleine communion au corps ecclésial du Christ se réalise par la communion à son Corps eucharistique. Comment peut-on le faire si on n’a pas encore reçu la marque de l’Esprit Saint, lequel fait l’Église ?

Restant sauve la disposition que chaque évêque est souverain maître en ce qui concerne les décisions pastorales pour son diocèse, je me risque à...

Quelques propositions pastorales

Pour des raisons de bien spirituel, il convient de distinguer le cas des adultes de celui des jeunes. Pour les adultes, il paraît possible de restaurer l’ordre « exemplaire » (et non pas « normatif ») des trois sacrements d’initiation : baptême, confirmation, eucharistie. Cela est demandé explicitement par le rituel de l’initiation chrétienne des adultes. En fait, l’Église demande explicitement que cet ordre soit respecté, sauf « raisons graves », cas très particulier qui est en fait chez nous le cas quasi-général. La raison grave jusqu’à présent évoquée par les évêques de France est la difficulté que les baptisés récents ont à s’intégrer dans les communautés paroissiales, ce qui amène à une période d’environ un an avant la confirmation. La question qui se pose est de savoir s’il faut en quelque sorte instrumentaliser la confirmation en vue de cet objectif pastoral et pédagogique parfaitement valide.

De là découlent trois propositions.

• Donner les trois sacrements ensemble à la vigile pascale, puis un an de mystagogie, et au bout d’un an une rencontre avec l’évêque, avec un geste sacramentel, qui pourrait être la réconciliation, reprise « à sec » du baptême.

• Baptême à la vigile pascale, confirmation et eucharistie à la Pentecôte. Cette proposition s’appuie sur l’idée que le temps pascal, qui va de la résurrection à la Pentecôte, ne constitue qu’un seul jour liturgique. Le temps de la mystagogie suivrait pendant un an.

• Enfin, le baptême et l’eucharistie à Pâques, et la confirmation à la Pentecôte (solution actuelle), un peu boiteuse, quoi que si l’on considère le temps pascal comme un seul jour !...

Pour les jeunes, c’est plus compliqué. La problématique est différente : il faut tenir compte des difficultés particulières que les jeunes connaissent dans un monde sécularisé pour affirmer leur foi et en témoigner. Il faut leur proposer quelque chose à l’adolescence. Mais la confirmation est-elle faite pour cela ? Donner la confirmation à sept ans ? Ce serait perdre l’avantage du dispositif actuel si fructueux pour les jeunes.

N’oublions pas l’adage : « L’Église a tout pouvoir sur les sacrements. »