Après Lourdes 91, quelle pastorale des vocations ?


Intervention de Soeur Dominique Sadoux à la journée diocésaine des vocations de Cambrai, à partir des réactions des participants à Lourdes et d’une intervention d’Eric Julien pour les Services des Vocations de la région Nord.

I - Après " Lourdes 91 "

Chacun se souvient du Congès ! Ici 18 cambrésiens y ont participé, mais ils étaient délégués d’un plus grand nombre : 70 engagés en Service des Vocations dont 25 avaient répondu au questionnaire préparant Lourdes !

"Les 18 congressistes, enthousiasmés de leur congrès, partagent leur dynamisme avec l’équipe diocésaine et les différents ateliers et antennes..."

C’est vrai Lourdes a été une source d’enthousiasme car il a été un évènement ecclésial. Ce mot "enthousiasme" revient souvent dans les comptes-rendus des diocèses après Lourdes... Je me suis amusée à relire la définition de ce mot dans le Petit Robert :
"Enthousiasme : de Theos-Dieu : transport divin ! " et plus loin : "état où l’homme soulevé par une force qui le dépasse, se sent capable de créer...
émotion intense qui pousse à l’action dans la joie."

Les participants à Lourdes ont éprouvé quelque chose de cette force neuve créatrice car ils ont "vécu" l’Eglise. Pour ne citer que le compte-rendu d’une région apostolique :

"Très grande joie d’avoir vécu ce temps fort d’Eglise ! Sentiment d’avoir été raffermi dans sa propre vocation d’homme/femme/père/mère/prêtre/religieux(se)/laïc. Puisé dynamisme et espérance pour continuer la mission d’éveil aux vocations particulières (en particulier avec les relais)".

Je crois que ce dynamisme vient du fait que chacun se sentait concerné, co-responsable, partie prenante d’une communauté dans sa grande diversité mais dans une même mission rendue possible par l’Esprit Saint.

L’écho des deux conférences magistrales du congrès continue de nous arriver spécialement par les bulletins des SDV : Les paroles fortes du Père Martelet et de Mgr Thomas ont été accueillies sur fond de célébration et de partage-liturgie-forum-groupes-etc..., comme une parole accueillie, chantée, priée, partagée-questionnée par tous et toutes. Autrement dit, dans un climat communautaire vivant et diversifié : 700 laïcs sur 1200 participants.

Ce contexte même nous rappelle qu’on ne peut parler de pastorale des vocations qu’à partir d’une communauté chrétienne active.
Paroles fortes qui ont porté des fruits à Lourdes : celles du Père Martelet, qui resituait la question des vocations à partir de l’être de Dieu lui-même, dans la Trinité !
Et la parole d’un pasteur, le Père Thomas, soucieux d’une Eglise où se complètent les vocations et où elles sont favorisées par la possibilité d’une expérience humaine et spirituelle fortes.

Les deux maîtres-mots de ce congrès, qui y ont été accueillis, découverts, célébrés furent : "décentrement" et "articulation".
Tout baptisé est appelé au décentrement de soi vers les autres. Dans l’Eglise toute vocation se décentre vers le peuple de Dieu, tourné vers le monde. Chaque vocation spécifique se décentre vers les autres, pour lesquelles elle est un "signe". Avec les autres vocations, elle est tournée vers l’annonce de Jésus-Christ au monde. Cette parole du Père Martelet a puisé son impact dans sa source : la Trinité elle-même - où chacune des personnes est décentrée vers les autres - le Père vers le Fils dans l’Esprit. C’est au coeur de la Trinité que toute vocation, baptismale et spécifique, trouve sa source et la condition de sa réponse.

Comme le relève un participant, après le congrès, dans ses notes sur la conférence du Père Martelet :

"C ’est l’Esprit qui est le réalisateur d’un tel mystère : il est le génie de l’alté- rité dans le but de la communion entre le Père et le Fils. Il est celui qui a la passion de l’autre.
Ensuite, nous sommes invités à être, dans l’Esprit, comme celui qui dans la création :

  • travaille dans l’incognito,
  • fait la jonction entre deux appels,
  • met en oeuvre l’incarnation,
  • est le façonnier du Corps du Christ dans l’Eglise,
  • est différenciateur du Corps du Christ, - est souffle créateur sans lequel les diversités deviennent rivalités." (P. Martelet)

Resituer les vocations à leur source même, c’était faire prendre le large aux participants du congrès.

  • le large de la Foi, poussés par l’Esprit, plus fort que toutes nos morosités
  • c’était aussi très concrètement, poser les conditions d’une espérance pour l’éveil, l’accompagnement et le discernement des vocations
  • c’était nous inviter à vivre cette sortie vers les autres dans la gratuité et donc dans la prière, où se reçoit le don de l’Esprit.

C’était aussi nous provoquer à une plus grande collaboration et au partenariat.
Non seulement l’Esprit ouvre, en Eglise, à la différence, faisant de chaque chrétien, dans sa vocation propre, un signe pour les autres, mais encore il ouvre à la complémentarité et à la collaboration.

Pour Mgr Thomas, trois qualités sont nécessaires aux baptisés pour répondre à leur vocation, pour être mutuellement "signe" :

  • la liberté du disciple qui se vit en présentant la multiplicité des choix dans une vie afin de rétablir la liberté de conscience,
  • la connaissance de ses propres charismes et dons, car celui qui se connaît devient libre. La connaissance de soi-même est essentielle à l’éveil des voca- tions,
  • la capacité de faire une expérience spirituelle et humaine fortes."

C’est dans cet esprit ecclésial que furent ré-exprimées les diverses vocations spécifiques.

Ecoutons maintenant des participants répondre à cette question :

Qu’est-ce que vous aimeriez dire à ceux qui sont avec vous sur le terrain, dans votre lieu d’Eglise ?

" Ce congrès m’a réconcilié avec ce service S.D.V. que je ne percevais qu’à travers des membres recruteurs ou des pressions de communautés qui voulaient se ’gonfler’. Nous avons encore à nous convertir, à vaincre notre timidité, notre peur, à affirmer notre foi, pour oser dire l’Amour de Dieu pour nous et l’appel à une vocation spécifique, qui passe parfois par des rouages bien différents. " (Germaine)

" Je voudrais dire certaines convictions que le congrès a renforcées en moi. Tout baptisé est appelé par le Seigneur à vivre d’une manière telle que sa vie soit un chemin de bonheur pour lui et pour les autres. Aucune vocation n’est à séparer des autres. Nous avons tous besoin de l’amour des gens mariés, nous avons tous besoin de célibataires consacrés, nous avons tous besoin de prêtres, nous avons tous besoin du témoignage des religieux, nous avons tous besoin de l’ouverture par les missionnaires, nous avons tous besoin de la prière des moines... Nous tous, baptisés, nous avons à porter le souci de toutes les vocations. "

" Oser demander à tous les chrétiens de s’interroger sur leur vocation de baptisés. Le Seigneur continue d’appeler chacun et tous ensemble à former une Eglise vivante et évangélisatrice, et particulièrement certains à être prêtre, diacre, religieux, religieuse et sûrement des missionnaires au loin. Parler davantage des sacrements du mariage et de l’Ordre en catéchèse. Provoquer des rencontres entre jeunes et prêtres enthousiastes. Eviter les critiques du clergé qui stérilisent les germes des vocations, au contraire aimer et encourager les prêtres. " (Marie-Claire et Jacques).

"J’ai envie de leur faire découvrir ce qu’est le Service des Vocations (à bas les préjugés !).
Inviter les responsables à une réflexion sur leur mission de baptisés, pour eux personnellement mais aussi pour le mouvement auquel ils appartiennent : ’au service de qui ? de quoi ?’ pour qu’ils essaient de préciser pourquoi ils s’engagent en Eglise.
Apprendre à se mettre à l’écoute de l’Esprit qui est à l’oeuvre dans nos vies."
(Véronique).

" Militants d’A.C.O. (en couple) nous faisons partie d’une commission appelée ’Militants de l’Espoir’ qui réfléchit sur les moyens de faire prendre conscience de la nécessité d’appeler des gens à des vocations particulières. Nous devons maintenant nous retrouver pour partager avec eux cette expérience vécue à Lourdes, pousser davantage notre réflexion à partir de certains exposés et partages du congrès et interpeller nos équipes." (Jeannette)

"Après tout ce que nous avons entendu, partagé... il nous semble que la tâche pour le diocèse est immense, tant au niveau des moyens, des actions à entreprendre, que des mentalités à transformer." (Edouard et Annie)

" Je voudrais dire que l’Appel est un don merveilleux et non une servitude. Ne pas craindre de s’y engager dans la joie de l’Esprit Saint." (Raphaël, séminariste)

" Quand on travaille pour les vocations, on travaille pour des personnes. Ces personnes, souvent des jeunes, cherchent le chemin qui sera le bonheur pour elles et qui sera en même temps le chemin que le Seigneur a préparé pour elles et pour tous les hommes. Travailler pour elles, c’est travailler pour le bien de l’Eglise et du monde. "

" Missionnaire au fond de moi-même, j’ai été heureux de la place donnée à la vocation missionnaire. Il est vrai que cela a été long à venir ! On avait vécu plus de la moitié du congrès et rien n’avait été dit sur la vocation missionnaire. Puis Eric Julien, en faisant la synthèse d’une enquête, terminait ainsi : ’Rien n’a été dit de la vocation missionnaire, c’est grave’. Mgr Thomas enchaînait en donnant enfin à la vocation missionnaire une place de choix "

" Je crois profondément que, dans l’Eglise, c’est en donnant qu’on s’enrichit, que la vie intérieure grandit en nous... Ouvrons les portes et les fenêtres, laissons l’air frais circuler. C’est dans une maison bien aérée que nous, adultes et jeunes, avons envie de vivre. Les autres hommes, les autres peuples ont beaucoup de choses à nous donner et à nous apprendre. C’est la mise en oeuvre de toutes les vocations ensemble qui fait une Eglise vivante. "
(P. Richaud, délégué Animation Missionnaire).

II - quelle mission renouvelée pour la pastorale des vocations chez nous ?

Une mission où les laïcs ont toute leur place. Avec eux, dans quelle direction marcher ?
Ecoutons les échos des Services des Vocations après Lourdes, comme le soulignait Eric Julien à la Commission régionale du Nord :

"Si Lourdes n’a rien modifié dans le fond, en revanche, la perception des conditions de notre mission s’est peut-être affinée.
Nous savons, en effet, que nous sommes, S.D.V., au début d’une chaîne : celle de l’éveil, du discernement, puis de la formation en vue d’un ministère, ou du noviciat.
Mais nous savons aussi que nous sommes reliés à une autre chaîne : celle de l’éducation des jeunes, assurée par les parents, la catéchèse, l’école, les mouvements chrétiens.
Et notre travail d’éveil reste éminemment tributaire des conditions de cette éducation. Cela nous force donc à nous adapter continuellement à ce que sont les jeunes, à ce qu’ils cherchent, et leur manière nouvelle de communiquer. Lourdes, par la foire aux expériences, par les synthèses de l’enquête, a révélé la richesse d’inventivité, de créativité des S.D.V. en matière de pédagogie d’éveil. Mais Lourdes révèle aussi combien nos moyens sont inefficaces sans... la réponse des jeunes eux-mêmes ! Des groupes de recherche périclitent. Des années d’éveil, de propédeutiques ferment, au bout de deux ou trois ans. Au début, on fait le plein, puis... plus personne.
En d’autres endroits, c’est le contraire. Ailleurs, cela "fonctionne" mieux avec les scolaires. Ici, avec les étudiants... Tout se passe comme si notre situation d’ "entre- deux-chaines", celle de la formation et celle de l’éducation, nous mettait en position passive d’attente "de clientèle", et cela même si nous disposons de moyens pédagogiques du dernier cri.
Cet "entre-deux-chaines" nous incite à travailler de plus en plus avec nos partenaires (aumôneries de jeunes, catéchèse, mouvements, parents). Eveiller, réveiller les adultes ! c’est la mission de tous ceux qui ont chanté "Baptisés, serviteurs du Père qui appelle" à Lourdes !
Travailler avec les partenaires dans un dialogue et une vraie co-responsabilité.

1) Le dialogue avec les partenaires doit être réel. Il s’agit de faire passer (contre de nombreux préjugés) que notre travail commun et nos liens ne sont pas intéressés, comme sous tendus par le désir de "recruter", mais mûs par le même souci : l’épanouissement des jeunes, la joie pour chacun de trouver place et identité dans ce monde et parmi ses frères chrétiens.
Cela peut conduire à des remises en cause mutuelles dans nos pratiques pastorales. C’est sûrement un risque. Mais c’est sûrement une grande chance de mettre l’ecclésiologie de Vatican II en pratique.

2) La co-responsabilité. Si les différentes tâches sont exercées dans l’Eglise sans désir de pouvoir mais seulement de service mutuel, si les baptisés, dans tous leurs états de vie, du prêtre à la mère de famille, parviennent à travailler ensemble sans se sentir dépossédés de leur identité, ou spoliés pour une redistribution nouvelle des responsabilités, alors les jeunes le verront, et auront le désir de mettre la main à la pâte."

Parmi ces partenaires, un des lieux d’urgence de réveil des baptisés est bien la famille :
" La mission du S.D.V. : être présent dans les groupes d’Eglise humainement et spirituellement. Ce congrès a permis de mieux se connaître (peut-être pas encore assez - merci pour le témoignage de vie des membres actuels). Il doit interpeller les différents groupes et les aider à réfléchir sur leur vocation baptismale, c’est peut-être dans cette ’terre bien travaillée’ que pourront germer des vocations spécifiques. Le SDV doit également rester toujours en lien avec la famille, peut-être inventer des rencontres. Ce qui m’interroge c’est de constater que des familles bien pratiquantes ne sont pas des terreaux favorables à l’éclosion des vocations. Je reconnais, pour ma part, la difficulté de poser directement la question ; comment être un terrain favorable ? " (témoignage au retour de Lourdes)

Un peu partout on prend des initiatives avec la pastorale familiale. Mgr Thomas a insisté sur le regard positif des familles sur le prêtre et les consacrés. Cela commence par le repas du dimanche en commentant l’homélie ! Cela peut aller jusqu’à la prière ensemble.
Avec tous les partenaires il est bon de prendre le temps du dialogue pour rendre un service et non s’imposer.
"Prendre le temps de s’expliquer sur le fond des choses pour que les mots et les pratiques nous soient clairs, mutuellement.
Ce n’est pas affaire individuelle, ni de communauté seulement, mais plus en- core de ’partenariat’ avec la Trinité. Alors on dépasse le recrutement de bou- tique, la rivalité des vocations, on apprend à discerner le secret appel."
(Mgr Coloni)

La Journée Mondiale des Vocations approche.
N’oublions pas, en mettant en oeuvre nos célébrations, nos initiatives,
de demander l’Espérance.
Souvenons-nous que l’Esprit travaille incognito dans le monde. Soyons des disciples capables de proposer aux jeunes de suivre les Chemins du Christ.

Soeur Dominique Sadoux
Service national des vocations