SYNTHESE DES ASSEMBLEES


P. BOUGAREL Père SIMON, nous avons beaucoup parlé de l’Esprit Saint. Dans les questions qui nous sont revenues, on demande : "Et les jeunes, dans tout cela ?"

Les jeunes, vous les connaissez un peu, leur précocité, leurs fragilités. Souvent ils viennent de familles éclatées. Ils sont sous la pression du groupe...

Selon vous, quel langage pourrait-on employer pour leur dire les convictions que nous avons mises en commun hier ? Quel langage pour les jeunes ?

P. SIMON Mon silence est éloquent ! Répondre est difficile. Je ne prétends pas du tout dire quel langage il faut employer. Mais je crois qu’on peut au moins avoir quelques convictions. Une première conviction :

Le Père MARTELET nous le disait hier, l’Esprit a le génie de l’altérité pour la communion. Or aujourd’hui, à mon avis, un avis qui soulèvera peut-être des questions parmi vous, les jeunes risquent d’être piégés par ce que j’appellerai "le piège du même".

Ils ont très peur, en tout cas certains jeunes que j’ai rencontrés ont très peur de se démarquer du groupe dans lequel ils sont : il faut qu’ils aient les mêmes fringues, les mêmes références, les mêmes copains, etc. C’est le règne du même. Ils sont enfermés là-dedans, en plus ils sont parfois enfermés dans le rêve que leurs parents voudraient les voir réaliser.

Il est important, je crois, d’aider les jeunes à comprendre que leur vie peut se poser en terme de vocation et non en terme de programme, qu’ils peuvent échapper à ce "piège du même". Ils ne sont pas obligés d’être la copie conforme de leurs parents, de leurs copains ; mais en notre temps, c’est difficile. Et donc, dans les instances qui sont les nôtres, il faut les aider à prendre le temps de se former, pour oser se démarquer de la pression du groupe, de la pression sociale.

P. BOUGAREL Madame de PREMONT, après votre intervention hier, il y a eu une double réaction un peu contradictoire.

Ceux qui avaient participé à l’enquête s’y sont retrouvés facilement. Les autres ont dit allègrement : elle donne ses impressions personnelles.

Notre assemblée aimerait savoir comment vous avez travaillé à partir de cette enquête ?

Mme de PREMONT J’ai reçu un certain nombre de synthèses (71), qui représentaient environ 250 à 300 rapports puisque beaucoup donnaient une réponse collective par diocèse. J’ai analysé les questions 1 et 2 qui portaient surtout sur ce qui avait suscité et motivé votre pastorale, comme vos convictions : convictions envers l’Eglise, convictions envers le Christ, convictions regardant votre vocation de baptisés.

Cela m’a permis de mettre en évidence des points marquants, qui revenaient très souvent. C’est pour cela que j’ai proposé cet horizon qui m’a servi de cadre pour relire l’ensemble de la synthèse. J’ai donc construit autour de trois points cette nouveauté de la question, nouveauté pour nous laïcs. Un nouveau regard sur l’Eglise, à partir de Vatican II : cette Eglise qui est mystère parce qu’elle est Eglise du Christ dans la force de l’Esprit.

Je ne crois pas avoir porté de jugement de valeur. Je me suis contentée de faire un constat. Vous m’avez invitée à poser des questions, je vous les ai renvoyées. Je pensais cependant que plusieurs de ces questions avaient été entendues dans l’après-midi. Elles ont d’ailleurs été discutées entre nous : parce que ces synthèses n’ont pas été données seulement à Mme de PREMONT, elles ont été mises en commun entre tous ceux qui ont préparé cette rencontre. Nous avons partagé le fruit de votre réflexion. Et je le crois, nous avons le même souci d’essayer d’y répondre, et de cheminer avec vous aujourd’hui.

P. BOUGAREL Nous voyons un peu mieux comment a été élaboré le travail qui nous a été donné hier. Je sais qu’une question démange M. AUVILLAIN !

On a parlé de vocations particulières ou spécifiques. Et beaucoup ont dit : c’est bien un peu le langage de la tribu ! Vocations particulières, vocations spécifiques, qu’est-ce que ça veut dire ?

On a remarqué aussi que la vocation religieuse n’apparaissait pas beaucoup dans les réponses a l’enquête. De même, et des laïcs en sont un peu chagrinés, très peu de mention de la vocation conjugale et familiale. Tout le monde s’entend pour dire : il y a un dénominateur commun : la vocation baptismale. Certains préféreraient parler de choix de vie. Vous le voyez, dans cette question je ramasse beaucoup d’interventions. Voulez-vous tenter de débrouiller tout cet écheveau ?

M. AUVILLAIN A mon avis, il faut d’abord se méfier des mots. Nous avons longuement réfléchi et discuté entre nous pour savoir ce qu’était une vocation particulière ou une vocation spécifique. Particulière ou spécifique, une vocation l’est parce que c’est ainsi qu’on la désigne. Le tout est de s’entendre sur ce que nous mettons sous ce mot.

Une vocation religieuse, une vocation sacerdotale, une vocation de vie consacrée, en tout cela s’agit-il de vocations spécifiques ? spécifiques de quoi ? Particulières, oui mais je crois qu’il ne faut pas s’arrêter aux mots.

Le problème pour nous, c’est de situer la vocation dans un ensemble. J’aurais tendance à penser que nous avons tous une même vocation : la vocation, c’est-à-dire l’appel à être chrétien. Mais ce n’est pas évident. A partir du moment où nous avons été baptisés, nous appartenons au peuple de Dieu ; cela implique pour nous comme un certain choix de vie, des décisions. Il va falloir que, compte tenu des impératifs, des exigences de ce choix et de ce que nous impose en quelque sorte notre baptême, nous vivions d’une certaine façon.

Se pose alors le problème, me semble-t-il : comment chacun de nous va choisir, va pouvoir devenir ce qu’il est ou ce qu’il doit être. Plusieurs voies s’offrent à nous.

Le premier temps de réflexion sur la vocation, c’est de savoir pour quoi nous sommes faits, ce que Dieu attend de chacun de nous non comme obligation mais comme choix, comme exercice d’une liberté en tenant compte des qualités et défauts qui sont les nôtres. Je crois que c’est le premier problème.

Le deuxième problème : la question des vocations particulières, spécifiques.

C’est bien évident, certains d’entre nous, d’entre vous, auront à exercer leur travail ou leur vocation d’évangélisation dans des conditions particulières ou spécifiques : par un appel à l’ordination sacerdotale, ou par un appel à la vie religieuse, ou par un appel à toute autre sorte de possibilité actuelle, comme le diaconat permanent, l’engagement au célibat par exemple...

Chacun de nous doit se demander : suis-je appelé à ce genre de vie, à cette vocation particulière qui sera un signe dont la communauté, dont le monde ont besoin ? Il ne s’agit pas de s’enfermer dans ces vocations à l’intérieur de l’Eglise, mais de voir qu’elles ont une signification pour le monde.

Je crois en même temps que chacun doit se demander non pas ce qu’il fera comme métier, mais comment choisir l’état de vie dans lequel il sera le plus apte à effectuer ce travail d’évangélisation et d’appel pour la Bonne Nouvelle. Ce peut être dans l’état de mariage, ce pourrait être dans un état de célibat, et pas forcément un célibat consacré, pourquoi pas ? Ce peut être dans un certain type de métier, ou dans des engagements sociaux, apostoliques...

A mon avis, on ne peut pas commencer à parler du problème des vocations particulières et spécifiques sans les replacer dans le cadre de l’ensemble de la vocation, comme l’a évoqué H. SIMON précédemment. Autrement dit, nous serons renvoyés au problème des familles ; nous y reviendrons, je pense.

P. BOUGAREL Madame de PREMONT, après ce qui vient d’être dit, la femme dans toutes ces vocations ? A-t-elle quelque chose d’original à nous dire, à nous apporter ?

Mme de PREMONT La femme dans l’Eglise : voilà un sujet assez périlleux ! Une question qui revient souvent, alors qu’on ne se la pose pas de cette façon dans la société.

Dans la société, quand une femme prend une responsabilité à la tête d’une Entreprise, ou suit des études, on ne se demande pas à quel titre elle le fait. Dans l’Eglise, ce qui importe, à mon avis, c’est que la femme soit respectée pour ce qu’elle est et ce qu’elle fait. Et qu’en fonction de son poids d’être, sa qualité de femme, la place qu’elle sera appelée à tenir par, précisément, son rayonnement personnel, sa responsabilité dans l’Eglise et sa mission se trouvent ouvertes devant elle.

La femme apporte dans l’Eglise une altérité, nous l’avons chanté tout à l’heure : une altérité nécessaire. Nous avons été créés à l’image de Dieu : homme et femme. La femme est un vis-à-vis. Elle est pour le clerc, peut-être, un peu comme une parole neuve, une parole autre. Réciproquement, la femme doit entendre le clerc comme une parole autre. A mon avis, il ne faut pas, il serait dangereux et ambigu qu’une femme puisse solliciter des ministères ou une autorité sans tenir compte précisément de cette altérité. Qu’elle devienne cléricale ! Cela pourrait être un danger.

Aujourd’hui, dans l’Eglise, nous avons tout de même de belles figures qui sont comme des figures de prophétisme. Nous avons parlé de Marie, je pense aussi à Thérèse d’Avila. Mais il y a aujourd’hui beaucoup de femmes qui ont quelque chose à dire, simplement ouvrir l’Eglise à la charité du Christ, aux mœurs du Christ. Nous l’avons dit pour la vie religieuse, mais nous pouvons le dire, je pense, pour la femme en particulier.

P. BOUGAREL Père SIMON, vous avez entendu deux laïcs, un homme puis une femme. Comment réagissez-vous ?

Je voudrais souligner la réponse de Jacques AUVILLAIN. Aujourd’hui, dans le contexte de notre pays, il est important de bien comprendre que c’est l’Evangile qui pose à tout chrétien la question de sa vie comme vocation. Là je souscris complètement : tout chrétien doit ou devrait se poser la question de sa vie en terme de vocation.

De ce point de vue, il n’y a pas de risque. Quelqu’un qui aujourd’hui se pose la question de sa vie en terme de vocation sera en altérité assez radicale, même tout à fait radicale par rapport à la façon dont ces questions sont posées dans la société civile.

Si je regarde ce qui se passe dans cette société, la façon dont les jeunes sont orientés en fonction de critères objectifs : s’ils ont 12,5 de moyenne au bac ils ont droit de postuler telle université ; s’ils ont 11,9 ils n’auront pas le droit... Ils sont programmés. J’ai dit auparavant : il y a aussi le programme inconscient ou implicite des familles qui disent : mon fils, tu seras polytechnicien... Vous voyez.

Regardons ce qui se passe a la télévision : on y est programmé, ou comme déterminé à acheter les mêmes baskets que ses voisins... Je pourrais développer : en bien des cas, poser sa vie en termes de vocation c’est se mettre en altérité par rapport aux mœurs les plus courantes.

Sur ce premier aspect du problème, ma vie comme vocation à la suite de l’Evangile, on distingue les vocations spécifiques.

On peut s’accorder sur les adjectifs, parce qu’il y a des vocations qui impliquent un état de vie particulier. Je crois que c’est là qu’on peut établir la distinction. La vocation à la vie religieuse implique un état de vie dans l’Eglise. Dans la discipline de l’Eglise, la vocation sacerdotale implique un état de vie, nous pourrons revenir sur ce point.

Donc le service des vocations spécifiques est proposé aux jeunes qui se posent ce deuxième type de question. Sans pour autant exclure complètement les jeunes chrétiens qui se posent la question de la vocation au mariage. Mais tout le monde ne pouvant faire tout en même temps, il ne faut pas que tout service veuille accompagner tout le monde. Au nom du droit à la différence, le S.D.V. a droit aussi à sa différence.

P. BOUGAREL M. AUVILLAIN, vous nous avez dit précédemment qu’on reviendrait sans doute aux questions de la famille. Et vous y avez insisté hier soir : il y a une vocation conjugale, une vocation familiale. Je profite de la présence d’un laïc marié pour lui demander ce qu’il entend par vocation conjugale et familiale.

M. AUVILLAIN Qu’il y ait une vocation, c’est-à-dire un appel à la vie conjugale, je ne suis pas sûr que tous en soient convaincus.

On pourrait se demander : était-ce un choix délibéré de vie, ou ce sont les circonstances qui ont fait que nous nous sommes trouvés mariés ? Ici je plaisante un peu. Mais réfléchissons.

Quand une famille se demande ce que son enfant va faire, H. SIMON vient de le dire clairement : selon son livret ou ses possibilités scolaires, cet enfant sera orienté vers un métier, une filière, très souvent d’ailleurs à la suite de pressions que la même famille repousserait avec indignation s’il s’agissait de proposer à un garçon ou à une fille d’envisager un appel à une vocation spécifique ou particulière.

Liberté dans un cas, c’est à dire choix possible ou refus le plus souvent, ou bien simplement : tu feras tel métier, comme ta mère, comme ton père, ou autre chose...

Il serait bon d’y réfléchir davantage. Je ne sais si je vais être approuvé ou non par les Services des Vocations, mais à mon avis, il peut être de leur ressort de faire comprendre aux familles qu’il serait bon de parler éventuellement aux jeunes de la vocation familiale, de ce que cela engage.

Je le disais à l’instant : on se retrouve parfois dans le mariage sans avoir beaucoup réfléchi, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner. On n’a pas assez préparé. Je ne parle pas des Centres de préparation au mariage, c’est tout à fait particulier. Mais dans nos familles, faisons-nous assez réfléchir nos enfants sur ce qu’est la vie familiale ? Cela fait-il l’objet, non pas de conversations de type "humoristique", comme : "ah, tu verras ce que c’est que d’élever des enfants, ce n’est pas si facile que ça"... Mais va-t-on au fond du problème, ce que signifie bâtir une famille, et pour quoi, dans quel but ?

Nous sommes, je crois, en plein dans notre vocation de baptisé ; il y a un témoignage, une évangélisation à apporter. Il y a un monde, un Royaume à construire : ce qui peut se faire aussi bien dans un état de vie consacré ou particulier, spécifique, que dans la vie familiale. Peut-être réagirez-vous tout à l’heure sur ce point par vos questions...

P. BOUGAREL Peut-être nous faut-il aller au cœur de la question ?

Madame de PREMONT, vous avez des enfants, ils vous ont probablement parlé de leur projet de vie, au fur et à mesure. Comme mère de famille chrétienne, avez-vous pu leur dire que .dans leur vie il y avait probablement un appel, je garde le mot très large. Ils avaient un projet de vie : avez-vous pu leur dire qu’il y avait aussi un appel ?

Mme de PREMONT Oui, je pense, j’ai tenté de leur faire entendre, sans l’imposer, peut-être simplement en écoute et dialogue, que le but d’une vie chrétienne est de répondre dans l’Esprit à l’appel du Christ. Et ceci, en s’engageant dans un projet, après discernement dans l’Esprit, où on découvre que c’est sa meilleure façon d’exprimer l’amour qu’on a pour Dieu, pour le Père.

Donc, pour moi, dans ces deux termes, appel et projet, j’entends d’une part la précédence de l’appel de Dieu pour mes enfants, pour tout être chrétien, en fait pour toute personne. Notre vie est donc en situation de réponse.

D’un autre côté cette volonté de Dieu dont on parle toujours ("faire la volonté de Dieu") ne s’impose pas comme une chose toute faite. Elle ne me tombe pas sur la tête. Nous avons à discerner, à être créatifs dans l’Esprit. C’est sans doute ce que vous évoquiez dans votre question sur le discernement. Nous avons dans l’Esprit à inventer des formes dans lesquelles nous avons à incarner cet appel du Christ à le suivre.

Je pense que quand J. AUVILLAIN parle de toute vie chrétienne, nous avons tous à trouver une forme. Et cette forme, nous la trouvons à partir de l’Evangile ; nous la trouvons, chacun, à partir de médiations rencontrées. Par exemple, la vie religieuse va être inspirée par la figure d’un Fondateur. Un couple sera inspiré par l’Evangile et la figure du Christ, il cherchera à dire dans cette vie de couple quelque chose de l’amour du Christ pour l’Eglise.

Ces deux dimensions sont donc inséparables, à mon avis. En toute vocation il y a cette rencontre de deux désirs, de deux volontés : la volonté de Dieu qui est appelante et qui porte la volonté de l’homme, mais celle-ci est une volonté libre. Dieu n’engage pas, n’invite pas des personnes qui seraient contraintes. Il invite au contraire à être créateur avec Lui, et à tracer son chemin. Je pense que l’idée de Dieu chemine avec nous. A la limite on pourrait presque dire : je veux ce que Dieu veut, mais dans la mesure où je le veux dans l’Esprit, Dieu veut ce que je veux.

P. BOUGAREL Trois fois on a entendu le mot "discernement". Dans les questions revenues hier, on disait : on a beaucoup parlé de l’Esprit-Saint, encore faut-il le discerner dans la sagesse et la lumière.

Père SIMON, en tant que Supérieur de séminaire, vous avez entendu beaucoup de jeunes. Pouvez-vous nous dire : dans le discernement des vocations, quels sont les repères que vous avez employés ? Quelles sont, chez ces jeunes, les lacunes que vous avez détectées ?

P. SIMON Les repères que j’essayais de promouvoir, de mettre en place ?

Il a toujours été important de permettre aux jeunes, je parle de séminaristes, d’avoir plusieurs références. C’est-à-dire qu’ils ne s’identifient pas trop vite à un projet de ministère incarné par une seule personne ; qu’ils ne se veuillent pas les disciples d’un seul prêtre, par exemple. De façon à prendre le temps de discerner au fond d’eux-mêmes à quoi ils sont appelés. Même si telle figure de prêtre a été pour eux l’occasion de se poser la question du ministère. Il n’est pas sûr qu’ils soient destinés ensuite à continuer cette figure-là. Donc, qu’ils prennent du champ, du recul, par rapport à leur désir immédiat au moment où ils sont entrés au séminaire. Ce qui demande du temps. Pour le discernement d’une vocation, il est très important de prendre du temps. L’Evangile nous le dit : il faut savoir s’asseoir pour évaluer si on peut aller jusqu’au bout de son projet. Donc essayer d’éviter la pression psychologique qui aujourd’hui peut peser sur des jeunes qui entrent au séminaire : comme c’est marginal dans la société française, il y a en effet une sorte d’identification immédiate, pour savoir où on en est. Or la situation de jeunes en formation comme séminaristes est par définition une situation instable. Puisqu’on n’est plus tout à fait un laïc et on n’est pas encore un prêtre on est un peu dans le temps de l’exode, on se cherche. Et c’est angoissant de se chercher.

Il me paraît important de donner aux jeunes le temps de se trouver. Et dans la liberté. C’est-à-dire en leur disant clairement que de toute façon leur décision serait la bonne dès qu’elle serait leur décision. Autrement dit qu’ils s’orientent d’une manière ou d’une autre au service du diocèse, dans une congrégation religieuse ou dans le mariage, de toute façon ce qui importe c’est que leur liberté soit entière, que leur décision soit leur propre décision, prise après discernement dans l’Esprit.

P. BOUGAREL Monsieur AUVILLAIN, sur le discernement vous souhaitez ajouter une réflexion...

M. AUVILLAIN Je reprendrai volontiers ce que vient de dire H. SIMON sur les familles. Il a dit une chose qui me semble très importante et profonde : la décision que tu prendras sera la bonne, si elle est prise dans de bonnes conditions.

Pour nous parents il ne s’agit pas d’imposer plus ou moins consciemment aux enfants un avenir, en quelque sorte, ou de vouloir à tout prix qu’ils se réalisent dans une direction qui nous paraît à nous la meilleure mais qui ne semble pas la meilleure pour eux. C’est une tâche très difficile. Ce discernement au sein d’une famille est un acte très délicat. Et il serait peut-être bon - et pourquoi pas, dans le cadre toujours de ces Services des Vocations -, d’aider les gens à réfléchir d’abord à la façon de discerner chez chaque jeune une vocation naissante. Surtout, apprendre aux familles à ne pas étouffer les jeunes, consciemment ou non je le répète, par des pressions souvent sincères. On ne se rend pas toujours compte qu’on impose à l’enfant un choix en lui conseillant de faire telle ou telle chose ; et que l’enfant ou le jeune n’est pas forcément armé pour répondre, il n’ose pas.

Il y a là tout un travail de pédagogie très important. Et qui conduira peut-être ensuite à l’éclosion de ces vocations particulières, que pourtant je place en un deuxième temps. Créer un climat pour savoir comment notre jeune pourra se développer, se réaliser dans les meilleures conditions possibles compte tenu de ses qualités, de ses goûts, de ses aptitudes. Donc être capable de les discerner, ou de l’aider à les discerner. Quitte à s’entourer de conseils, ce que généralement on fait très rarement.

Autant de parents se méfient d’un enfant qui veut faire du théâtre que d’un enfant qui voudrait devenir religieux : ayons le courage de le reconnaître ! ils sont tout aussi catastrophés... "Je veux faire du théâtre" : à la limite les parents préfèrent voir leur enfant se faire religieux... au moins là !...

P. BOUGAREL Madame de PREMONT a quelque chose a dire sur les Services des Vocations...

Mme de PREMONT Oui, je crois qu’au niveau "de ce discernement, il est important d’entendre que la mission du S.D.V. commence par la sensibilisation de tout le peuple chrétien. Sensibilisation aux vocations, mais d’abord par le peuple, par toutes nos communautés.

Cela rejoint bien la question d’hier, au fond : les vocations dans les communautés vivantes, dans des communautés sensibilisées. Le second temps c’est ce temps d’éveil ; ce n’est donc pas un temps d’imposition. Un temps d’éveil à une pluralité de possibilités dans la réponse à l’appel du Christ.

Le troisième temps est simplement un accompagnement dans le discernement, à propos d’une vocation que nous appelons particulière ou spécifique. Mais cela ne vient que dans un troisième temps. Et effectivement, prendre le temps, donner du temps à l’Esprit, donner au jeune du temps dans l’Esprit est bien important.

P. SIMON Pour ma part je voudrais réagir à ce que vous venez de dire. Le temps du discernement aujourd’hui, on sait faire parce qu’on s’adresse à des jeunes qui se sont déjà posé la question. Je m’interroge à propos de ceux qui ne se posent pas la question : ils sont beaucoup plus nombreux. Je crois que nous avons à réfléchir à ce sujet.

Voici un exemple : l’autre jour, au Carmel où je vais régulièrement me refaire une santé parce qu’il est en pleine forêt de St Severt, dans le Calvados (sans publicité !), un prêtre de passage a prêché le dimanche. Ce jour-là il y avait un groupe d’aumônerie, des 4èmes et 3èmes. Le prêtre leur a dit : "chacun de vous peut se poser la question d’une vocation". Il leur a dit ça simplement parce que c’était le dimanche d’octobre avec le thème : "Priez le Maître de la moisson."

Il paraît que durant le pique-nique les jeunes qui étaient là ont dit : mais c’est incroyable, c’est pas possible, chacun d’entre nous ? Alors toi, tu peux te poser la question ? Et moi aussi ? On avait toujours pensé que c’était pour d’autres, que les séminaristes à la limite n’étaient pas de la même race que nous ! Mais que nous aussi on puisse se poser la question !"

Il paraît qu’ils étaient complètement renversés... Oui, il y a là un travail à faire pour dire : la question est possible, la réponse t’appartient.

M. AUVILLAIN Pour revenir à la question des familles, je crois aussi très important ceci : quand on parle, que, par des paroles ou par des attitudes, on ne dévalorise pas systématiquement les prêtres, les religieux et les religieuses qu’on est amené à rencontrer.

Je suis très frappé par le fait que si beaucoup de jeunes hésitent à se poser la question, c’est qu’a priori ils en ont tellement entendu dire dans les familles même chrétiennes (et surtout chrétiennes, si j’ose dire !) : "ah, il est ceci, il est cela, il comprend rien, il fait...", etc. Comment voulez-vous qu’un jeune soit encouragé à envisager la possibilité de s’engager dans ce type de vocation ?

Sur le climat qui règne dans une famille, je suis un peu moins optimiste que Paule de PREMONT en ce qui concerne l’influence qu’on peut avoir sur les enfants et les jeunes et sur la façon dont on peut leur parler de ces questions. Mais je pense qu’il y a une façon positive de parler de la vie religieuse, de la vie des prêtres, de l’état de vie des prêtres, peut-être même dans la façon de les recevoir, de leur parler, qui est très importante.

Et ceci portera le jeune à se poser la question, ne serait-ce que d’une manière un peu bizarre, comme ils le font en général, entre deux portes, sur un bateau, en excursion en montagne... Brusquement ils posent la question importante à laquelle on n’est pas toujours sensible, à laquelle on ne répond pas toujours bien."C’est à ce moment-là qu’on peut éventuellement les guider.

Mais je serais porté à dire : soyons très modestes dans nos possibilités, ayons en permanence ce souci mais sans se faire trop d’illusions. Essayons d’agir avec tact, sans en faire trop. Mais sur ceci vous pourrez vous exprimer.

P. BOUGAREL Dans votre famille, parmi vos connaissances, M. AUVILLAIN, avez-vous vu, en quelque sorte, "surgir" une vocation ?

M. AUVILLAIN A ma grande honte, je dois répondre : non. Cela a été un grand problème, car je me suis aperçu que des enfants, des amis d’enfants, des jeunes s’étaient posé la question d’une vocation par exemple de type social : médecin sans frontière, ou remplir une mission particulière dans le Tiers-Monde, ou dans leur vie professionnelle ; ou dans leur vie de tous les jours, je les ai vus s’engager profondément dans un tas d’activités, pas forcément religieuses. Mais pratiquement ils ont éliminé au départ la possibilité d’une vocation spécifique. Pourquoi ?

Je réfléchis à l’accent mis pendant 20 ou 30 ans sur le rôle des laïcs dans l’Eglise. Ce que je dis va vous paraître paradoxal ! On a mis cet accent de telle façon que les jeunes se sont dit : que je sois religieux, religieuse, prêtre, ça donnerait quoi de plus ? Ils n’ont rien compris, peut-être parce qu’on ne leur a pas expliqué ce que signifiait une ordination ou un engagement religieux, au sens précisément de la signification pour l’Eglise et pour le monde. Cela, ils l’ont gommé. Ils se sont dit : il y a un certain nombre de fonctionnaires qui remplissent un certain nombre de tâches. J’ai retrouvé ça dans les questionnaires évoqués par Mme de PREMONT : on a besoin de prêtres pour les sacrements. C’est revenu souvent, ça m’a un peu inquiété mais je n’ai pas résolu le problème.

Pourquoi des jeunes de valeur, qui ont des engagements très importants et souvent difficiles, socialement, pédagogiquement, n’ont-ils jamais envisagé la question d’une vocation ? C’est pour moi une interrogation.

P. BOUGAREL Une question qui est aussi une "pro-vocation" i Si le Fils s’est fait homme, ce n’est pas pour enfiler des perles, fussent-elles théologiques ! Il est sorti de là où il était (Ph 2, 6-8). Prendrons-nous un jour les besoins des hommes, les besoins concrets qui résonnent au cœur du Père ? Appeler à servir, mais à servir quoi ? Ordonné à quoi ? Tant que nous ne nous décentrerons pas, ce sera sympa ; mais qu’est-ce que cela changera ? "Pro-vocation" ! Quelqu’un se sent-il prêt à la relever ?!...

P. SIMON S’il faut y aller, allons-y ! Il est sorti de là où il était. Mais je constate qu’il a pris le temps de se former et de mûrir. Car s’il a parlé pendant trois ans, il avait travaillé pendant trente ans : c’est du moins ce qu’on dit.

Autrement dit, ce mot "décentrement", ou "sortie de soi", je ne sais pas très bien comment l’entendre. Parce que c’est un mot qui pourrait devenir assez démagogique. On peut effectivement aller hors de son lieu natal : à condition d’avoir pris aussi le temps de s’enraciner dans la prière. L’Evangile nous dit assez que le Christ avait le souci de rester en communion avec son Père, alors même qu’il parcourait les villes et les villages de Galilée. Je crois donc que j’entends l’expression à plusieurs niveaux.

P. BOUGAREL Je crois que l’interpellation est adressée à plusieurs, à cette table. Vous avez dit : il faut que la décision du jeune soit sienne, oui. Il faut que ce soit sa liberté ; il faut aider cette liberté, oui. Mais ne faut-il pas que cette décision personnelle rencontre à un moment ou à un autre ce que l’Eglise demande ? De quels prêtres l’Eglise a-t-elle besoin ? de quels laïcs ? de quels religieux ?

Le jeune en prenant sa décision devra aussi se modeler sur la demande de l’Eglise. Vous avez beaucoup insisté sur la liberté. On vous renvoie la balle : oui, mais une liberté en Eglise. Et tout le problème qui est venu hier soir dans les questions : Eglise et structures. Parce que peut-être, Père SIMON, les jeunes recherchent beaucoup une Eglise qu’à la limite ils créeraient : mais les structures ? la demande de l’Eglise ? le profil de l’Eglise ?

P. SIMON Quand on parle de vocations spécifiques, vocation religieuse ou sacerdotale, je crois qu’il faut effectivement bien voir que cette vocation est authentifiée par l’appel de l’évêque (pour la vocation sacerdotale). Ce qui signifie : il y a eu rencontre de deux libertés, ou de trois. Il y a l’appel de Dieu au cœur de quelqu’un. Il y a la liberté de cette personne qui dit : pourquoi ne pas réfléchir à cet appel ? Et il y a l’appel qui vient de l’Eglise en disant : cette personne a les compétences requises, on peut lui confier une communauté.

A mon avis, de fait il ne faut pas voir simplement l’appel subjectif de quelqu’un qui dit : j’ai envie de devenir prêtre, je me mets sur ce créneau-là. Il faut voir aussi du point de vue de la responsabilité de l’évêque (ou des responsables de vie religieuse) : cette personne est-elle suffisamment préparée, fiable, solide, pour qu’on puisse lui confier une communauté ?

Je l’ai souvent constaté dans la démarche d’ordination : le peuple chrétien serait prêt à encenser un jeune qui va devenir prêtre parce qu’il a une grande qualité : il est jeune ! Donc c’est un héros, c’est presque un surhomme, aujourd’hui. Et deux ans après on vient dire : oh là là, pas facile de travailler avec celui-là, il fait n’importe quoi, il est réac, il est autoritaire, il est ceci, il est cela..., il perd son temps... Bref, je ne fais pas de dessin, nous avons tous compris. C’est bien la difficulté d’une vocation qu’on reçoit : on ne se la donne pas à soi-même. On la reçoit, et le test de cette réception c’est qu’on accepte de la recevoir aussi de l’Eglise.

P. MARTELET Je voudrais revenir un peu sur la question qui a été posée sur l’enfilement des perles par le Christ. A mon avis il y a là une ironie facile qu’il faut dépasser. Car l’Eglise, on essayait de le dire hier, n’est pas une entreprise. Or souvent la façon dont on réfléchit à la vocation est une façon que je dirais "sociétaire" : ainsi, il y a un certain nombre de places à remplir dans l’Eglise ? Quelle place vais-je prendre ?

C’est là une horreur, je crois. Car l’Eglise, c’est d’abord le sacrement du Christ. Donc s’il n’y a pas d’abord de vocation à l’amour du Christ, il n’y a pas de vocation spécifique possible dans l’Eglise. Or quand on demande ce qu’il faut faire, quand on dit que le Christ n’est pas sorti d’où il était pour enfiler des perles, avant de poser cette question, il faut nous demander si l’on aime cet "enfileur de perles" ?

A ce point de vue, je voudrais insister sur ceci : le théologien est un appendice, n’est-ce pas, dans la vie de l’Eglise. Comme disait il y a un instant M. AUVILLAIN, être homme de théâtre c’est pire ; dans l’Eglise être théologien c’est le pire de tout ! Eh bien comme théologien je prends la parole pour dire ceci :

Ce qui est sous-jacent à cela, ce qui a été tu de ma part et souvent aussi ce matin d’ailleurs, c’est la vocation religieuse. Que représente la vocation religieuse dans l’Eglise ? Elle dit que l’Eglise n’est rien sans le Christ, et qu’on peut dans l’Eglise être tout à fait à sa place en ne choisissant qu’une chose : aimer le Christ pardessus tout. Non seulement par-dessus les différentes tâches sociales et civiles, séculières, mais même par rapport aux vocations spécifiques comme les vocations de prêtre, diacre, ou autres.

Aimer le Christ pour lui-même, et choisir une vie dans laquelle la seule raison d’être de l’existence, autant que possible, est cette consécration à l’amour du Christ, c’est vraiment avoir sa place dans l’Eglise. Et ce témoignage que la vie religieuse rend à l’Eglise et rend dans l’Eglise montre qu’il n’y a rien de possible dans l’Eglise si ce que l’on fait ne part pas d’abord de l’amour du Christ. C’est ceci que précisément le Saint-Esprit inspire dans l’Eglise. Il inspire l’amour du Christ qui fait que l’Eglise n’est pas une entreprise mais un mystère. Et que c’est en fonction du mystère qu’on entreprend. Mais ce n’est pas une entreprise d’abord, dans laquelle sociétaire-ment on se situerait.

P. BOUGAREL Justement, Père MARTELET, une autre question : Vous avez dit, entre le Père et le Fils il n’y a pas d’analogie ; entre le Père et le Fils ce sont deux contraires. Egalement l’incognito de l’Esprit Saint, le chaos du début... Pourriez-vous rapidement préciser...

P. MARTELET La question est chaotique ! Certains, je crois, ont été choqués de cette affirmation du Père BALTHASAR, qui est très profonde : II n’y a pas d’analogie entre le Père et le Fils.

Actuellement ce qui est très difficile dans la réflexion chrétienne, c’est de vraiment tenir compte du mystère trinitaire. Et c’est en grande partie la faute des théologiens. On a fait de la Trinité un tel rébus qu’on croit préférable de laisser de côté une telle réflexion. Ce que j’ai dit hier est lié à cette ignorance au sujet du mystère radical du Père et du Fils.

Au fond on fait comme si l’essentiel en Dieu, c’était l’unité de la nature. Puisque tous les trois sont Dieu, qu’importé la manière dont ils le sont. Or précisément ce que la révélation nous dit c’est qu’il y a dans le mystère de Dieu une vie intime extraordinairement profonde.

Selon le mot de ZUNDEL, un mot assez extraordinaire qui permet de comprendre la façon dont la Trinité façonne en quelque sorte le mystère de Dieu : "Dieu est Celui qui ne possède sa divinité qu’en la communiquant".

Autrement dit, le Père qui est la source même n’existe comme Père, comme Dieu, qu’en donnant à un Autre que lui, aussi Dieu que lui, la divinité qu’il possède. En ce sens le Père est Celui qui donne ce qu’il a comme Père ; le Fils est celui qui ne fait que recevoir. Mais alors que cette perspective de donner et de recevoir suscite dans l’humanité un complexe oedipien de domination du père sur le fils, ou de jalousie du fils par rapport au père, où chacun voudrait être sa propre source, la trinité nous révèle un type de donation dans lequel celui qui donne livre tout ce qu’il a, de telle sorte que l’autre ne puisse pas avoir de complexe d’infériorité de recevoir ce qu’il est. Aussi nous avons là le problème totalement résolu ; il n’y a même pas de problème. Une altérité qui se doit tout entière à un autre que soi, et qui vit dans l’allégresse d’avoir à se recevoir.

Nous savons bien de nos jours ce qui fait le fond de l’athéisme : c’est que l’homme ne veut pas se devoir à un autre que lui. Car s’il se doit à un autre, il en est nécessairement dépendant, esclave. Ce que la Trinité nous révèle, au contraire, c’est qu’on peut être dans la dépendance absolue d’un autre et cependant être dans une liberté totale, de sorte que celui qui donne ne domine, ni celui qui reçoit n’est humilié. C’est précisément ce qui permet de dire qu’il y a une différence radicale entre les deux et cependant une union aussi profonde que l’est la différence de donner et de recevoir. Si bien qu’on peut dire : le mystère trinitaire, en raccourci c’est, en sa source, le mystère de toutes les relations d’altérité dans la société.

Celui qui donne doit donner de sorte qu’il donne tout ce qu’il a, mais en laissant à celui qui reçoit la liberté de recevoir en étant lui-même et en revenant à sa source de façon absolument autonome.

En ce sens il n’y a pas d’analogie entre le Père et le Fils. Mais il y a une communion. Autrement dit il y a une différence radicale des Personnes, qui rend possible une union, radicale aussi, dans l’amour. Je ne sais si je réponds à la difficulté...

P. BOUGAREL On vous demande, à la table, un exercice : qui peut dire, en une phrase et pas plus (c’est souligné de quatre traits !), ce qui fait la spécificité du ministère presbytéral, et sans employer de gros mots !

P. MARTELET Je ne sais pas si on a la lumière... Et vous savez, les gros mots… on a toujours des gros mots... pour les autres !

Ce qui fait la spécificité du ministère presbytéral, c’est la transcendance du Christ. Le Christ n’est pas un produit de l’homme ; c’est le produit de la puissance de l’Esprit, dans l’incarnation du Fils dans la chair. Or ce mystère du Christ est tellement original qu’il est indispensable qu’il soit présenté dans sa pureté, au cours d’une histoire où la façon dont il est vécu peut l’altérer. Le ministère presbytéral consiste à rappeler toujours l’identité absolument originale du Christ à la fois dans son Evangile, dans la vie qu’il donne, et dans les mœurs qu’il exige.

Je m’en excuse : il y a plusieurs phrases... Une phrase, pas de gros mots..., tout est dit et ficelé !

P. BOUGAREL On sent que l’assemblée désire creuser ce qui lui a été proposé : quelle est la différence significative et spécifique du prêtre par rapport au laïc baptisé et appelé pour la mission, au diacre permanent chargé de mission ecclésiale, au religieux appelé à la sainteté. Quelle est la différence significative et spécifique du prêtre ?

P. SIMON J’ai envie de répondre par une phrase de l’Evangile : "Il eut pitié de la foule car ils étaient comme des brebis sans pasteurs."

L’originalité du prêtre, c’est d’être signe du Christ Pasteur. Bien sûr, le prêtre, pas tout seul mais en communion avec son évêque dont il est le collaborateur. Signe du Christ Pasteur. Et ainsi, par son existence même et non d’abord par ce qu’il fait, par son existence même le prêtre rend service à ceux pour qui il est pasteur. Ensuite dans l’organisation des choses à faire, tout le monde peut participer au travail. Mais je crois, le prêtre est celui qui est établi pour avoir ce souci d’être pasteur au nom du Christ. Et ainsi, je le redis, il rend service par son existence même.

Il y a un instant, dans la question sur les "perles" théologiques, on disait : allons-nous prendre en compte les besoins des hommes ?

Ne donnons pas à ce mot les "besoins" des hommes, une signification strictement matérialiste : nous sommes un peu piégés, en français. Il faudrait prendre en compte aussi l’attente profonde des hommes. Et aujourd’hui, cette attente, c’est celle de quelqu’un qui leur dise qu’ils sont plus grands qu’ils ne le croient, qu’ils vont plus loin qu’ils ne se l’imaginent, qu’ils viennent de plus loin qu’ils ne le pensent. Autrement dit, que leur vie pèse plus qu’ils ne le croient.

Parmi les besoins, il y a d’abord celui de l’ouverture à la transcendance du Christ. Et par son existence même le prêtre ouvre à cette dimension transcendante.

P. BOUGAREL Une question : au lieu de dire vocation particulière, ou spécifique, ne faudrait-il pas dire : vocation radicale, et la présenter autrement que comme une vocation parmi d’autres ?

Ce n’est pas le but du Service des Vocations de présenter tous les échantillons possibles de vocation chrétienne, avec dans cet inventaire les vocations spécifiques mises sur le même pied que les autres.

Les vocations radicales sont originales, elles sont des signes pour tous. Il faut donc les présenter et les valoriser d’une façon originale. Le Service des Vocations doit être un service original et non un service d’Eglise parmi d’autres. Qu’en pensez-vous, Père MARTELET ?

P. MARTELET A mon avis ce n’est pas tout à fait vrai de dire que les vocations particulières sont des vocations radicales. Toute vocation chrétienne est une vocation radicale. Pourquoi ?

Parce que le Christ est la racine même de l’existence humaine et chrétienne. Donc être chrétien, c’est aller à la racine du dessein de Dieu, à la racine du mystère même de l’Eglise puisque le Christ est le fondement et la racine de tout. Je ne crois pas qu’il faille dire que les vocations presbytérales, ou religieuses, sont des vocations plus radicales : ce sont des vocations plus particulières.

La vocation presbytérale a pour but essentiel de rassembler et d’annoncer, de rassembler et d’incorporer et de configurer au mystère du Christ : par métier, j’allais dire par tâche apostolique. Mais ce n’est pas une vocation plus radicale que la vocation chrétienne : c’est une vocation au service de la radicalité de l’existence chrétienne, afin que l’existence chrétienne garde son originalité absolue.

Quant à la vocation religieuse, ce n’est pas une vocation plus radicale. C’est une vocation qui atteint la racine d’une autre manière, en sacrifiant les tâches humaines, les obligations humaines, les offices humains. En sacrifiant aussi en principe les tâches proprement hiérarchiques. Mais ce n’est pas une vocation plus radicale. C’est une façon nouvelle de toucher la racine.

Evidemment les modalités sont des sacrifices, elles sont une consécration particulière. Mais je ne crois pas qu’il faille distinguer les vocations particulières dans l’Eglise par leur radicalité. Même si c’est vrai : la vocation religieuse, si elle veut être elle-même, va à la racine de façon plus simplifiée et par là même on peut dire plus radicale ; mais seulement dans le moyen, pas du tout dans la fin, le but, la raison d’être.

P. SIMON Je voudrais ajouter quelque chose. Il ne faudrait pas comparer vocation à vocation, je crois. Si quelqu’un disait : je me fais religieux ou religieuse parce que c’est radical, là au moins je vais être un surhomme., ce serait bien une erreur radicale ! La seule question n’est pas : y a-t-il des vocations meilleures les unes que les autres. Mais : laquelle est la bonne pour moi ?

P. MARTELET C’est un problème d’engagement personnel. Et comme l’a dit Madame de PREMONT, c’est une façon d’ajuster un appel à un projet. Qui suis-je, moi, pour le Christ ? Qu’est le Christ pour moi ? Comment le servirai-je sur le chemin qui me paraît le meilleur et le plus adapté à ce que je suis ?

P. BOUGAREL Madame de PREMONT, une question pour vous : Vous parliez de l’homme et de la femme dans l’Eglise ; la femme apportera une teinte nécessaire dans l’Eglise. Et vous ajoutez : si les femmes sollicitent des ministères dans l’Eglise, ce pourrait être un danger. J’aimerais que vous développiez un peu plus : pourquoi ce pourrait être un danger ?

Mme de PREMONT C’est peut-être un peu une provocation ! mais à mon avis, le désir d’une femme d’être reconnue avec un titre peut être ambigu. Je crois que c’est quelque chose qui est plutôt de l’ordre de l’accueil que de l’ordre de la revendication. C’est pourquoi tout ce que nous a dit le Père MARTELET sur le respect de l’altérité, découvrir que nous sommes complémentaires, que l’Esprit-Saint fait la communion à partir de nos différences, je crois que c’est plus enrichissant pour nous que de voir des femmes qui réclameraient en disant, comme un dû, qu’elles ont au fond besoin d’avoir un titre ou un ministère pour être reconnues. Ce qui n’empêche pas que dans l’Eglise de nouvelles formes puissent être données, et qu’avec la nouveauté qu’elles apportent, ou que le monde réclame, les femmes puissent y répondre et accueillir ce qui leur serait proposé. C’est un peu dans cette optique que je parlais de cléricalisme chez les femmes.

Je voudrais simplement dire autre chose, je n’ai peut-être pas beaucoup insisté, mais je pense que la femme dans l’Eglise, dans cette altérité, apporte un autre langage, une autre façon de voir les choses, d’autres expériences. Je m’intéresse particulièrement aux sujets de morale : à mon avis, c’est bien que des femmes, à partir de ce qu’elles sont, de ce qu’elles ont vécu, disent aussi ce qu’elles croient et leur sagesse personnelle. Je crois que l’Eglise a tout à gagner à avoir ce partenariat.

P. BOUGAREL Quand on parle de vocation, on parle de prêtre, de religieux, d’institut séculier, de missionnaire, de diacre permanent. Il y a nécessité de faire une place de plus en plus importante aux permanents laïcs pour un service d’Eglise à durée limitée.

M. AUVILLAIN Oui, comme le fait observer le Père MARTELET : des permanents à durée limitée, qu’en pensent les théologiens ? On peut faire entrer cette fonction dans le cadre de la vocation, dans la mesure où un certain nombre de personnes parmi nous peuvent être un jour appelées à exercer, pour une durée limitée, un travail de permanent dans l’Eglise. Je crois qu’il faut exercer un discernement important dans le choix des personnes et, en un sens, quand on se sent appelé à ce genre de travail.

Ce n’est pas à moi à développer ce thème : je crois que les permanents dans l’Eglise posent, et probablement poseront, un certain nombre de problèmes.

Il y a des problèmes en quelque sorte sociaux simplement, de rétribution. Et il y aura tôt ou tard, il y a déjà en certains endroits, des problèmes de conflits de pouvoir, d’influence : il faudra bien un jour ou l’autre, les traiter sérieusement. Cela dit, il me semble très sage que celui ou celle qui a posé la question ait insisté sur le fait de durée limitée : je ne crois pas qu’il faille en faire un métier. Mais c’est une opinion, elle est discutable, on pourrait la reprendre en d’autres lieux ou circonstances.

P. SIMON Pour nous détendre, une petite histoire ! Vous verrez, c’est à l’honneur des évêques !... Hier soir j’ai raconté une petite blague, dont j’ai été témoin dans un des groupes, puisque j’ai laissé traîner mes oreilles. J’arrive dans ce groupe. L’animateur, qui faisait très bien son travail, dit : "Il est maintenant 18 h 10, il faut cibler une conviction". Le groupe réfléchit et dit : "nous en avons une, elle tient en deux mots : décentrement et déplacement".

Cibler un déplacement et un décentrement, c’était déjà bien compliqué ! Le groupe est de plus en plus perplexe. Le Père MARTELET me dit que maintenant il y a des appareils électroniques performants capables de cibler un déplacement !

Heureusement, dans le groupe il y avait un évêque : voyez que c’est utile d’avoir un pasteur avec soi ! Tout d’un coup, l’évêque, pour sortir de l’impasse, dit : "si on distinguait les registres ?". Autrement dit, l’évêque a mis de la hiérarchie dans le problème !...

P. BOUGAREL Une question du genre "pro-vocation" : faut-il parler tellement de vocation familiale ? La famille est-elle vraiment une valeur évangélique, du moins la famille en tant que telle ? N’y a-t-il pas aujourd’hui dans l’Eglise une inflation du familial, proportionnelle à la fragilité de la famille dans la société ? La famille c’est quoi ? un couple avec deux enfants ? un enfant avec une mère ? autre chose ? quel modèle ?

M. AUVILLAIN Je suis incapable de répondre à ce genre de question. Je n’y vois pas de réponse simple. C’est un genre de question qui me désoriente. Je me tourne vers le théologien : je lui passe la balle !

P. MARTELET Non seulement le chaos est pour le théologien, mais aussi les impasses ! Ce me semble une question à la fois très profonde et qui peut avoir un caractère un peu superficiel.

C’est une question très profonde, dans la mesure où la structure de l’humanité dépend de la famille. Nous avons là la genèse, vraiment. Le Dieu qui en lui-même est une altérité crée à sa ressemblance. C’est-à-dire : il crée la différence de l’homme et de la femme, de sorte que cette différence rende possible une union, une union féconde d’amour. On peut dire en ce sens que le couple, la famille, qui va résulter du couple, est une structure vraiment naturelle. Et il est impensable de voir l’humanité sans cette analogie de la Trinité dans la chair.

En ce sens le couple est une structure tout à fait fondamentale. Je ne dirais pas que c’est une structure évangélique : c’est une structure humaine. Ce qu’il y a de terrible, actuellement, c’est qu’une certaine liberté sexuelle mal comprise a gravement relativisé la signification en quelque sorte trinitaire du rapport de l’homme et de la femme, à savoir une différence en vue de la communion. A mon avis, le trouble éthique qu’il y a maintenant dans la société vient en partie d’une infirmité de l’enseignement chrétien concernant la structure radicale du couple.

Je ne dirais donc pas que le couple ou la famille est une valeur évangélique. C’est une valeur humaine, que l’Evangile suppose. C’est pourquoi le Christ, qui renvoie à l’origine les Pharisiens qui posaient le problème, dit : "L’homme ne séparera pas ce que Dieu a uni". C’est-à-dire que nous avons là quelque chose qui est une unité moléculaire tout à fait fondatrice des structurations de la société.

D’autre part, pour l’Evangile la famille n’est pas une valeur absolue. Nous avons lu tout à l’heure les paroles de l’Evangile dans St Luc qui nous rappellent ceci : par rapport au Royaume, les structures naturelles ne sont pas des structures absolues ; autrement dit personne n’a l’obligation de se marier.

Cela montre d’ailleurs à quel point le choix du mariage doit être fait dans une liberté qui réfléchit. Car par rapport aux structures de la société chrétienne le mariage n’est pas un absolu : ce qui est absolu, c’est la personne, en tant qu’appelée à entrer dans le mystère du Corps du Christ. En ce sens, le Christ relativise plutôt la famille. Mais attention : il ne la relativise pas comme famille. Il la relativise par rapport aux exigences du Royaume. Mais l’Evangile confirme la structure absolument fondatrice du couple dans la société.

Ainsi on comprend comment le mariage va devenir un sacrement, puisque le Christ représente dans sa divinité l’élément de différence radicale par rapport à l’humanité qu’il saisit. Il réalise pour ainsi dire en lui l’union conjugale parfaite de l’homme et de la femme. Aussi le rapport de l’homme et de la femme se réfère au mystère du Christ pour pouvoir tenir aussi fortement dans les difficultés que l’union du Christ homme-Dieu tient jusque dans la mort et qu’elle est glorifiée dans la Résurrection.

Vous le voyez, tout ceci supposerait une théologie approfondie de cette unité radicale de l’homme et de la femme, qui retrouve toute sa valeur mais ne peut cependant être présentée comme la forme absolue de l’engagement pour le Royaume.

P. BOUGAREL Les trieurs me rappellent qu’il y a beaucoup de questions sur les missions lointaines. Père SIMON, nous parlons beaucoup de vocation baptismale, presbytérale, religieuse, conjugale... Et la vocation première de l’Eglise "allez, enseignez toutes les nations", la mission ad extra, ne l’oublie-t-on pas ?

P. SIMON On l’a oubliée ce matin, puisqu’on en a encore peu parlé : elle arrive seulement par vos questions.

Elle fait vraiment partie du souci du Christ. Si le Christ a souci de toutes les nations, chaque chrétien doit porter ce souci. Comment le traduire ? Toutes les Eglises locales, toutes les Eglises particulières doivent aussi en porter le souci. Il m’est arrivé, je donne un exemple, de devoir protéger un séminariste contre les pressions de son diocèse, tout à fait légitimes. Je comprends très bien que dans un diocèse, devant le petit nombre des séminaristes, quand l’un d’entre eux dit : "je me sens appelé à devenir missionnaire", on lui dise : "réfléchis plutôt trois fois qu’une, parce que chez nous aussi il y a de la mission ad extra."

Mais je crois, il est utile à ce moment-là de dire : nous sommes serviteurs de l’appel, et si cet appel le conduit à aller ad extra dans les missions, respectons l’appel de Dieu. Ce n’est donc pas une réponse complète que je donne ici. Mais ça doit faire partie de notre souci pastoral.

P. BOUGAREL Madame de PREMONT, on parle des jeunes. A votre avis, quelle pédagogie pour les vocations vis-à-vis des enfants ?

Mme de PREMONT En entendant auparavant le Père SIMON, je pense que ce qui importe au départ, c’est peut-être d’éveiller un désir, d’éveiller le désir de donner sens à sa vie à travers justement un engagement. C’est quand même le point de départ : qu’il y ait quelque chose, un désir qui naisse. Car le désir c’est précisément ce qui met en oeuvre, ce qui met en route ; c’est dynamique dans une vie. Et dans cet éveil, il est très important de respecter la liberté : proposer n’est jamais imposer. Proposer c’est ouvrir des portes. Appeler c’est précisément permettre à une liberté de trouver un chemin. Dans ce respect de la liberté, il y a le respect de la dimension propre, de la consistance propre de l’enfant, de tous nos enfants, ceux que nous accueillons quand nous les accompagnons dans cette pastorale, et nos enfants aussi.

J’ai entendu hier plusieurs personnes dire : nous n’avons pas à leur imposer nos choix ; nous avons parfois, comme parents, tendance à projeter nos désirs sur nos enfants alors que, comme l’a dit Jacques AUVILLAIN, chaque vocation est à accueillir et à respecter comme telle. Dans cette proposition des vocations, dans ce dialogue avec un enfant, je pense que ce qui est important pour les laïcs que nous sommes, c’est de dédramatiser. C’était très net dans vos synthèses : l’idée qu’au fond, entendre une vocation vers la prêtrise, c’est naturel. Ce n’est pas quelque chose d’exceptionnel. Nous pouvons le vivre, la famille peut l’accompagner comme quelque chose qui au fond est un don joyeux et non un problème.

Et si les communautés pouvaient justement accueillir cela comme une bonne nouvelle, et pas simplement avec cette question : "que va-t-on faire de cette vocation, comment allons-nous la vivre ? Cela changerait un peu notre relation à ces vocations."

Dans cette approche, le langage que nous tenons est important, je pense : langage pour ouvrir au monde, aux besoins. Peur que précisément ce ne soit pas des vocations trop polarisées vers un service de prêtre. Mais qu’elles soient vraiment ouvertes à cette pluralité de l’Eglise missionnaire. Ouvrir sur la vie religieuse, voir précisément quelles sont les spécificités de tous ces Ordres, les spécificités qui sont possibles dans l’Eglise, aller au-delà, répondre à cette mission de l’Eglise : il est important que les laïcs que nous sommes, nous puissions donner cet horizon à nos enfants.

P. BOUGAREL Baptisés, serviteurs de l’appel... On nous signale peut-être un oubli, on nous dit : il semble que parlant des vocations spécifiques, on ne prononce jamais ici le mot "Institut séculier"...

P. MARTELET Je crois qu’en effet c’est une lacune. 11 faut dire aussi que l’institut séculier est une formule difficile à présenter. Dans cette formule, au fond, deux mouvements se rencontrent : le mouvement de la vie religieuse, comprise non comme un état de vie particulier mais comme une consécration au Christ ; et d’autre part, la profondeur de la vie du chrétien dans le monde, comme pouvant être le lieu de consécration totale de soi au Christ. De fait, dans l’Evangile, le Christ n’est jamais appelé célibataire. Il est appelé l’Epoux. Et en disant cela, je voudrais reprendre un peu et compléter ce que j’ai dit auparavant.

Quand on demande si la famille est une valeur évangélique : oui, bien sûr, dans la mesure même où le mystère du Christ est le mystère de l’Epoux qui a épousé 1’humanité.En ce sens la famille pénètre à l’intérieur du mystère évangélique par le fait même du mystère du Christ Epoux de l’humanité. C’est par là que le mariage devient vraiment sacrement.

Autrement dit, une réalité totalement humaine devient symbolique du mystère du Christ. En ce sens le couple devient véritablement une réalité évangélique. Tout en maintenant le fait que le Christ est capable de demander à un homme, à une femme de sacrifier cette vie conjugale, qui n’est pas une obligation radicale, de la sacrifier pour un service dans le Royaume.

Dans l’Institut séculier, il se passe quelque chose d’analogue. La vie séculière, c’est-à-dire le dévouement au monde tel qu’il est, dans une profession laïque, devient le lieu où l’on peut rejoindre le Christ, lui qui n’est pas sorti de l’existence séculière qui était la sienne pour révéler le Royaume et son mystère de Fils dans la puissance de l’Esprit par rapport au Père.

C’est dans une incorporation tout à fait naturelle, banale, que le Christ a accompli sa mission. Ce que l’Institut séculier retrouve, c’est donc ceci. Tout comme il n’est pas nécessaire de ne pas se marier pour entrer dans le mystère du Christ qui est l’Epoux de l’humanité. Il y a là une forme de consécration qui a d’ailleurs rénové la vision de la vie religieuse aussi.

Car le danger de la vie religieuse a été de croire qu’elle était la seule manière de se consacrer au Christ. En réalité, c’est une modalité. Ce que l’Institut séculier remet en valeur : il y a possibilité de vivre totalement consacré au Christ aussi dans la banalité de la vie séculière, tout comme il est possible de se sanctifier totalement dans la vie conjugale. Pourquoi ?

Pace que le Christ, sans être un homme marié, est en ce sens un "eunuque pour le Royaume", et cependant il est l’Epoux de 1’humanité. Cet Epoux de l’humanité consacre et sanctifie le mariage, comme l’Institut séculier peut consacrer la vie courante dans la banalité du siècle.

Vous le voyez, ici encore nous sommes dans un phénomène d’ouverture. Par rapport à la vie religieuse, l’Institut séculier dit que la vie religieuse n’est pas la seule forme da consécration. Mais de même, l’Institut séculier découvrira que la modalité banale de la consécration n’est pas la seule possible. Chacun s’ouvre à l’autre en incorporant d’ailleurs la sacramentalité du mariage à l’intérieur de cette vision de consécration au Christ.

Après un oubli, un petit reproche : ce débat me semble un peu biaisé. Il y a un non-dit, ou plutôt une non-élucidation de deux concepts différents : vocation, service des vocations.

La vocation est-elle celle de l’Eglise ? Sortons de cette problématique. L’Eglise est-elle appelante parce qu’elle répond à son propre appel ? Si elle ne répond à aucun appel de Dieu et du monde, pourquoi serait-elle appelante ?

P. SIMON Pour ma part, je ne sais pas si je serais aussi sévère à l’égard de l’Eglise, parce qu’implicitement j’entends que l’Eglise n’appelle pas. Je ne suis pas sûr que ce soit tout à fait vrai. Regardons ce qui se passe dans le monde, pas seulement mais aussi chez nous. Je ne suis pas sûr que l’Eglise soit aussi insignifiante qu’on semble le dire.

Je vais prendre les choses de très, très loin. Regardons bien ce qui se passe dans notre société au niveau international. Il paraît qu’il y avait deux systèmes qui étaient concurrents, et qui obligeaient donc à montrer qu’on était les meilleurs. On dit qu’il n’y en a plus qu’un. Qui va être une instance d’appel par rapport à ce modèle unique qui tend à s’imposer sur l’humanité entière ?

Il me semble, et là je suis fier de mon Eglise, qu’elle représente une instance d’appel tout à fait décisive par rapport à cette espèce de chape de plomb matérialiste qui risque d’être le modèle unique qui s’impose et qui programme en quelque sorte les gamins. On est en train de les programmer, de les fabriquer pour qu’ils soient performants dans ce système unique. Il faut une instance d’appel. Et je pense, notre Eglise, grâce à Dieu et un peu grâce à nous puisque nous y travaillons, notre Eglise est une instance d’appel. Je crois qu’il nous faut en prendre une vive conscience.

Chez nous, je tire la sonnette d’alarme. Parce qu’actuellement, et j’ai entendu cela hier encore dans ma voiture, nous sommes dominés par les émissions de divination, de je ne sais pas quoi, astrologie, etc. Voici un exemple, puisqu’on a beaucoup parlé de vocation au mariage... C’est une publicité que vous avez peut-être vue. Personnellement je regarde peu la télévision, je suis souvent dehors le soir. Mais ça m’arrive de zapper en arrivant ! Et je tombe sur une publicité qui m’a semblé extraordinaire par sa signification.

C’est une fille qui arrive en disant : "Maman, maman, c’est extraordinaire, Pierre m’a demandée en mariage. Mais il me donne trois jours pour lui répondre. Qu’est-ce que je lui dis ?" La mère répond : "T’inquiète pas, ma fille : 36-15 Vega".

Voilà pour l’anecdote. Regardez ce que ça signifie par rapport à la vocation, à la liberté, à l’altérité et au mariage. Contrairement à ce que dit la Bible, l’homme (et la femme) quitte son père et sa mère, il ira ailleurs. Là, la fille revient à l’origine : "Dis, maman, que vais-je faire ?". Retour à l’origine : "T’inquiète pas, te pose pas de questions."

Or la vocation, ça pose des questions, ça complique la vie. Mais ça individualise, ça personnalise. C’est "Je" qui doit répondre. Là tu ne réponds pas : tu fais 36-15 Vega, et les astres vont te dire ce qui est programmé pour toi. Vous voyez qu’il n’y a plus de liberté, plus de responsabilité non plus. Parce que si dans trois ans je m’aperçois que ça ne marche pas, je dirai quoi ? Le minitel était en panne, ou je n’ai pas fait le bon numéro !

Oui, je pense que parler en termes de vocation, c’est compliquer la vie des gens. Mais c’est les appeler à être personnels. C’est donc les inviter à entrer dans une perspective d’altérité. Aller là où ils n’avaient pas prévu d’aller, là où les astres n’avaient pas prévu qu’ils iraient, là où les lignes de la main n’ont rien à dire puisqu’il s’agit de se mettre un anneau au doigt et non de lire les paumes de la main.

De ce point de vue, je crois, nous devons prendre conscience que notre Eglise peut appeler en altérité par rapport au climat ambiant. Vocation, Service des Vocations, concepts différents ? C’est aussi une opinion dont il faudra débattre, nous avons encore ce soir, demain, pour en parler.

Le Service des Vocations est le rappel dans l’Eglise particulière que toute la vie chrétienne est vocation. Mais pour marquer cela, il faut bien qu’il se particularise au service des vocations. Encore une fois il ne peut tout faire : s’il fait tout on va retomber dans l’indifférenciation. Il fera alors l’aumônerie du lycée, le mouvement, il va faire ceci ou cela...

Le Service des Vocations est pour rappeler à tous les mouvements, à tous les Services, à toutes les communautés et donc à toute l’Eglise, qu’ils sont au service des vocations. Mais il faut bien qu’il y ait un service particulier qui dise aux autres : rappelez-vous votre mission. C’est un peu ainsi que je vois les choses.

Il reste un certain nombre de questions qu’on ne peut épuiser maintenant. Finissons par un témoignage de quelqu’un de notre assemblée. Le voici :

"J’ai quatre fils. Pendant toute leur enfance et jeunesse j’ai prié le Seigneur de se choisir au moins un prêtre parmi eux. Ils sont tous lés quatre mariés.

J’ai aussi deux filles. Je n’ai guère fait le même genre de prière pour elles. Pourtant, le jour de ses 18 ans, l’une m’a annoncé sa décision d’entrer au service de l’Eglise en se consacrant au Christ d’une manière très originale à l’époque. L’Esprit souffle où il veut !"