Religieuse apostolique


Christiane CHAVANIS,
Sœur de la Charité de Ste Jeanne-Antide

Ces quelques paragraphes ne sont ni un exposé théologique précis, ni un traité bien construit sur la vie religieuse apostolique... Ils sont tout simplement l’expression de quelques convictions personnelles. Religieuse de vie apostolique depuis 1968, je m’efforce de vivre avec joie ce chemin que je découvre et que je n’ai pas fini de découvrir : celui de sœur de la Charité, membre d’un institut international, fondé par Ste Jeanne-Antide Thouret le 11 avril 1799, selon l’intuition spirituelle de St Vincent de Paul.

- Mystère d’Alliance... Passion de Dieu pour l’homme...

La vie religieuse apostolique s’inscrit dans cette longue chaîne d’appels de Dieu faits à des hommes et des femmes tout au long de l’histoire pour maintenir vivante, présente cette alliance d’amour entre Dieu et l’humanité. Un jour Dieu se révèle à un certain Moïse comme un Dieu passionné par la vie de l’homme, mais surtout comme un Dieu touché, blessé par la misère, par tout ce qui entrave la dignité et la liberté de l’homme ; un Dieu profondément ému, bouleversé :
"J’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu son cri, je viens, je suis avec lui..." (Ex.3)

Ainsi se présente Dieu, proche de nous, "amoureux" des hommes, souffrant avec eux, agissant pour eux... Son amour est don, action. Le seul nom que nous puissions lui donner et qui l’exprime vraiment, c’est Sauveur, Libérateur ; un nom qui dit son oeuvre, sa mission, ce qu’il fait pour nous. N’en est-il pas ainsi de chacune de nous ?...

Dieu appelle un homme, des hommes, un peuple témoin de son amour, et au cœur de ce peuple il choisira sans cesse des hommes et des femmes comme prophètes, comme signes, de sa compassion. Il ira jusqu’à donner son propre Fils :
"Dieu a tant aimé les hommes qu’il a donné son Fils"

En Jésus-Christ s’accomplit et se manifeste définitivement son projet d’Alliance : le Christ se présente comme celui qui vient faire l’œuvre du Père, en prenant le parti des démunis de tout genre : malades, blessés, exclus, marginaux, pécheurs... L’action de Dieu s’inscrit concrètement dans l’histoire, par Jésus, Dieu au cœur de l’humanité. La vie religieuse apostolique prend sens dans cette passion de Dieu pour l’homme et continue les gestes de Salut de Jésus-Christ. Elle est présence de l’amour agissant de Dieu pour tout homme blessé, de toutes races, de toutes cultures. Elle est manifestation et réalisation du projet même de Dieu révélé en son Fils, par son Fils, dans le monde :
"Annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, rassembler et sauver ceux qui étaient perdus..."

A travers les siècles, devant toutes les formes de misères spirituelle, morale, physique... des hommes et des femmes ont été séduits par cet amour fou de Dieu révélé en Jésus-Christ, et à sa suite, comme lui, y ont engagé toute leur vie : ce sont les fondateurs et fondatrices d’instituts, de congrégations religieuses apostoliques qui aujourd’hui encore, continuent par leurs membres l’œuvre du Christ et donnent sens à tout geste de solidarité, d’accueil, de partage, signe que tout ce qui écrase l’homme est négation du Dieu amour. Elle est aussi signe de l’irruption définitive de la tendresse miséricordieuse de Dieu dans notre histoire, et signe du Royaume, rassemblement de l’humanité en Dieu devenu Corps du Christ.

"Fais cela et tu vivras" tel est le message que laisse à Jésus celui qui cherche la vie ! ... appel à être bon samaritain au cœur du monde !

Saisie moi-même par cet amour de Dieu pour le monde, par le désir de le faire découvrir aux jeunes, aux pauvres, j’ai trouvé dans la congrégation à laquelle j’appartiens une manière de vivre au service des jeunes et de l’Eglise. Quelque soit le service concret, la profession que j’exerce, qui évolue selon les besoins, c’est l’œuvre de Dieu qui s’accomplit à travers la mission que je reçois de ma congrégation. Démarche de foi, d’obéissance, certes, mais c’est pour moi l’expression réelle et visible de la confiance que Dieu fait à chacun. Là ma vie prend sens et dynamisme. Là s’enracine ma consécration religieuse, dans cette disponibilité totale au service des pauvres selon l’intuition de Ste Jeanne-Antide THOURET.

- A la suite du Christ... l’Evangile au cœur...

Centrés sur Jésus, demeurant en Lui, les yeux fixés sur Lui, religieux, religieuses de vie apostolique, nous vivons à la suite du Maître ce service de l’humanité "dans la foi au Fils de Dieu qui l’a aimée et s’est livré pour elle", comme l’affirme St Paul (Ga 2, 20) "Ma vie c’est le Christ" puissions-nous le dire nous aussi, à l’exemple de Paul !
"Sans moi, vous ne pouvez rien faire" nous dit Jésus.

Au cœur de la vie apostolique est ce désir passionné de devenir disciple, de le devenir radicalement. Cet appel du Christ "viens, suis-moi" trouve réponse en quelqu’un qui va se laisser façonner par l’Esprit, qui va mettre toute sa confiance, sa liberté, ses possibilités d’aimer au service de l’Evangile. Ainsi commence un long chemin de découverte de l’Autre, de soi-même, des autres en s’ouvrant à la gratuité de l’Amour, mystère de communion, en instaurant un nouveau rapport aux autres, aux choses, en vivant dès maintenant selon le mode de fraternité universelle au Christ.

Tout ceci va trouver son expression concrète dans un mode de vie communautaire et dans un engagement public par des vœux de pauvreté, chasteté, obéissance, reconnu par l’Eglise. La communauté religieuse apostolique rassemble quelques hommes ou quelques femmes, appartenant à une même famille religieuse, elle a comme loi fondamentale l’Evangile, mais aussi une Règle de Vie qui est l’esprit commun, celui du Fondateur ou de la Fondatrice. La vie en communauté nous provoque à une conversion continuelle, nous invite au partage, à l’humilité du cœur, au pardon selon l’idéal de vie de la première communauté chrétienne.(Ac 2, 42..). Librement nous accueillons le mystère pascal du Christ avec toutes ses exigences de conversion et de vie nouvelle.

Insérée dans une école, ou dans un quartier..., une paroisse..., dans le monde de la santé... chacune des Sœurs de la communauté est envoyée au nom de la communauté, et de retour elle aura à partager, à rendre compte de sa mission. Ensemble nous nous mettons à l’écoute des besoin des autres, des pauvres, nous cherchons comment vivre notre présence auprès d’eux ; nous portons dans la prière toutes les joies et les peines de ceux que nous rencontrons chaque jour. La communauté est au service de la mission et la mission rassemble la communauté. La communauté est présence d’Eglise là où l’Eglise est parfois absente.

Aujourd’hui, souvent la question du célibat nous est posée et, à travers elle, celle de la maternité. Le renoncement au mariage, aux enfants constitue un des traits essentiels pour signifier le Royaume de Dieu : "c’est à cause du Royaume" dira l’Evangile (Mt 19, 12), en vue d’une plus grande liberté, d’une plus grande disponibilité pour servir.

Il y a encore plus ! Le célibat est une dimension de la communauté permettant de vivre des relations de type "fraternel", signe de cette fraternité universelle en Christ : en Lui, nous sommes tous frères, il n’y a plus de hiérarchie dans les relations, mais égalité en Christ : "tous frères en Jésus-Christ". Le célibat s’inscrit dans cette suite radicale de Jésus-Christ, selon son mode d’existence au milieu des hommes.

Nous sommes également interpellées sur la pauvreté ! Nous mettons en commun tout ce que nous avons et ce que nous sommes pour signifier et vivre cet attachement unique à Jésus-Christ. "La pauvreté est ordonnée à la charité", nous nous efforçons d’avoir un style de vie simple, pour vivre un réel partage avec les pauvres

- Une grâce pour l’Eglise… mystère de communion...

Le religieux, par excellence, c’est le Christ : toute sa vie est consacrée, réservée, livrée à la réalisation du Royaume de Dieu pour que tout homme ait la vie éternelle.
"Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux, je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi, consacrés en vérité" (Jn 17, 18-19).

Notre vie de religieuse apostolique est une vie consacrée, livrée, offerte à l’action de l’Esprit dans une communauté particulière et reconnue par l’Eglise comme don. Elle est "mémoire évangélique de l’Eglise" selon l’expression bien connue du Père GUY, par ce qu’elle est et par sa mission. Tout chrétien est appelé par le Christ à devenir disciple et à mettre l’Evangile au cœur de sa vie ; ce n’est pas réservé aux religieux et ils ne vivent pas mieux que les autres.
"Nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour être un seul Corps" (1 Co 12, 13)

Nous avons tous reçu même vocation, une vocation unique : "être Fils". Baptisés, nous sommes tous membres du même peuple consacré, choisi par Dieu, témoin de la sainteté de Dieu. Pour chacun, il s’agit donc bien d’accueillir sa vie comme "don" et de la vivre comme réponse à l’appel du Christ à devenir disciple dans la communion.

La source est unique :
"Il y a diversité de dons, mais c’est le même Esprit, diversité de ministères mais c’est le même Seigneur, divers modes d’action, mais c’est le même Dieu qui produit tout en tous." (1 Co 4)

et Paul d’ajouter :
"Ce n’est pas à cause d’une capacité personnelle que nous pourrions mettre à notre compte, c’est de Dieu que vient notre capacité. C’est lui qui nous a rendus capables d’être ministres d’une Alliance nouvelle..."

La complémentarité des vocations est de l’ordre du don, de la grâce reçue. J’aime citer la manière dont Ste Jeanne-Antide a reçu sa propre vocation, en Suisse, de la part des vicaires généraux de BESANCON :

"Ils me dirent que je devais retourner à Besançon pour établir une société de filles toutes dévouées au service spirituel et temporel des malades pauvres et à l’instruction des filles indigentes... et ils me dirent encore, vous me direz que vous ne pouvez ni prêcher, ni confesser ; il est vrai, mais vous y pouvez faire grand bien, selon les moyens que Dieu vous a donnés."

Aujourd’hui, combien de fois nous voulons associer ces deux vocations et, voire, les réduire à une seule !... Pourquoi n’êtes-vous pas prêtre ?... Vous allez bientôt remplacer les prêtres !... comme s’il suffisait de remplir une tâche... Et les laïcs engagés dans une responsabilité d’Eglise pourraient avoir la même tentation !...

A travers ces quelques réflexions, il me paraît clair que la vie religieuse apostolique est de l’ordre du don fait à l’Eglise pour le monde, comme un phare évangélique, elle est suscitée par l’Esprit de Dieu pour signifier le Royaume de Dieu. Elle est de l’ordre prophétique par sa manière d’être et de vivre la radicalité évangélique.

Les prêtres, eux, sont appelés et ordonnés pour signifier que l’Eglise n’est pas d’abord un corps social ayant un projet qu’il se définirait, aussi "humaniste" soit-il, mais qu’elle est convoquée et voulue par Dieu. C’est le Christ qui la rassemble et lui donne unité et vie. Par son ordination, le prêtre est signe pour la communauté chrétienne qu’elle se reçoit de Dieu, qu’elle est conduite, animée et envoyée par l’unique pasteur : le Christ.

Quant aux laïcs, ils sont dans le monde, au cœur des réalités humaines ceux ,qui vivent au jour le jour l’Evangile comme le sel de la terre, le levain dans la pâte, et certains vont jusqu’à y consacrer secrètement leur vie : ce sont aujourd’hui tous ces membres d’Instituts séculiers.

Faire exister l’Eglise comme signe de Jésus-Christ et du Royaume, être témoins et serviteurs du dessein d’Amour de Dieu dans l’histoire des hommes, c’est la vocation de tout baptisé. Chaque vocation est unique, nécessaire, irremplaçable pour être ensemble ouvriers de la Vigne.

Pour conclure, je reprendrais simplement quelques expressions traduisant l’essentiel de notre vie religieuse apostolique. Elle est pour moi :

UNE VIE TOUTE LIVREE A DIEU PAR DES VOEUX SOUS LA CONDUITE DE l’ESPRIT,

UNE VIE TOUT ENTIERE VECUE POUR LE CHRIST ET l’EVANGILE,

UNE VIE EN COMMUNAUTE DE FOI,

UNE VIE ANIMEE PAR LA VOLONTE DE SERVIR l’EGLISE,
SERVICE d’AMOUR UNIVERSEL AU MILIEU DU MONDE

UNE ESPERANCE DU ROYAUME.

Savons-nous aujourd’hui en témoigner dans les combats pour l’homme !